Mais qu’est-ce que ce mystérieux Eileen? Un drame? Une romance? Un film d’époque? Un thriller? Il est un peu tout cela à la fois et peut-être même plus, sous la forme d’un long-métrage schizophrénique qui ne sait jamais vraiment sur quel pied danser, ce qui finit par agacer, surtout qu’il se couvre de ridicule dans son dernier tournant.
Le réalisateur William Oldroyd a fait une entrée fracassante avec son brillant premier film, Lady Macbeth. D’abord, parce que la proposition était excellente, mais aussi parce qu’il a permis d’ouvrir très grande la porte à une certaine Florence Pugh…
Ici, il prend les commandes de l’adaptation assez fidèle du roman du même nom d’Ottesa Moshfegh, dont elle a écrit le scénario avec son mari Luke Goebel, leur deuxième participation cinématographique après Causeway.
Création fort soignée, on apprécie la magnifique reconstitution d’époque des années 1960, les costumes de Olga Mill, la direction photo de Ari Wegner, qui tire avantage de l’hiver et de la nuit, et le montage précis de Nick Emerson, deux collaborateurs que le réalisateur retrouve, mais aussi l’envoûtante trame sonore aux sonorités jazzées d’inspiration film noir de Richard Reed Parry, membre du groupe Arcade Fire, qui n’est pas sans rappeler les mélodies de Colin Stetson.
Le hic principal, toutefois, est qu’il est impossible d’ignorer d’ailleurs, c’est qu’il devient clair que le film s’est donné comme point de référence le somptueux Carol de Todd Haynes, les emprunts manquant sévèrement de subtilité. Après tout, comment expliquer qu’on a blondit Anne Hathaway, qui en fait encore des tonnes comme si elle n’avait pas déjà gagné son Oscar, et qu’on l’a opposée à la jeune brune Thomasin McKenzie, dont les traits ne sont pas sans rappeler ceux de Rooney Mara. C’est encore pire lorsque le film divague ici et là, en sous-entendant une certaine histoire de lesbianisme, détour un peu déloyal histoire de brouiller les pistes.
Heureusement, McKenzie, qui épate depuis plusieurs années déjà dont dans Jojo Rabbit et Last Night in Soho, a tout ce qu’il faut pour porter le film sur ses épaules, incarnant tout autant une fragilité, mais également une inquiétante confidence qui nous permet de conserver un peu d’intérêt dans l’émancipation de la protagoniste qu’elle incarne, la Eileen du titre.
Prise entre son père ex-policier et alcoolique (le toujours génial Shea Whigham, qui fait le mieux qu’il peut avec ce rôle un peu limité), sa sexualité grandissante, ses rêveries et ses désirs encore insoupçonnées… Le film aimerait bien faire la part belle à la volonté de liberté des femmes, qui avaient encore bien de la difficulté à être prises au sérieux, à cette époque.
Cette volonté est louable et on rit noir, en plus de grincer des dents, devant ces petites manies typiques des mœurs de l’époque. Après tout, comment réagir autrement lorsqu’en présentant la nouvelle docteure du pénitencier, on lance quelque chose qui sonne comme: « She might be easy on the eyes, but she’s also very intelligent »?
Cela dit, l’effet s’estompe, puisque le film ne parvient pas à clarifier ce qu’il veut vraiment faire, ou ce qu’il veut vraiment dire. On sous-utilise des présences notables comme Sam Nivola, Siobhan Fallon Hogan et Owen Teague, mais pas nécessairement pour mieux développer le duo principal qui en reste aux stades plutôt primaires de leur psychologie. Eileen et Rebecca rêvent chacune à leur façon de mieux, mais se retrouvent régulièrement ramenées vers le bas par le monde limité qui les entoure. Oui, mais encore?
C’est d’autant plus frustrant, au bout du compte, puisqu’on semble traiter ces personnages féminins comme n’importe quel homme le ferait, au lieu d’élever la réflexion, s’en tenant à de l’hystérie sortie un peu de nul part. À ce propos, oui, Hathaway a encore l’occasion de crier, ceux l’ayant vu récemment dans She Came To Me en sont d’ailleurs probablement encore marqués.
Au final, en étant trop préoccupé par sa grande révélation choc, plutôt que par la nature de celle-ci (il y avait matière à mieux aborder les sombres recoins des victimes et des bourreaux, si on ne voulait plus se concentrer sur la condition des femmes), le film se perd et nous perd au passage. Dommage, puisque le talent, les opportunités et le potentiel ne manquaient certainement pas dans ce mystérieux et très stylisé Eileen.
5/10
Eileen prend l’affiche en salle ce vendredi 8 décembre.