Le discours climatosceptique bénéficie-t-il d’un avantage avec les algorithmes des réseaux sociaux? Et y gagne-t-il en importance ces dernières années ? Le Détecteur de rumeurs s’est penché sur le peu de données dont on dispose, un déficit attribuable au fait que la plupart des plateformes de réseaux sociaux ne sont pas transparentes.
L’origine des termes
Que l’on utilise les mots « climatosceptique », « climatodénialiste » ou « climatonégationniste », on fait référence au même groupe de gens: ceux qui rejettent la quasi-totalité de la recherche scientifique sur le climat des dernières décennies.
Il existe en effet, parmi les scientifiques qui font des recherches sur le sujet, un consensus: la planète se réchauffe depuis un siècle et l’humain en est largement responsable. La première compilation en ce sens avait été publiée en 2004 dans Science par l’historienne des sciences Naomi Oreskes: sur 928 études publiées par des climatologues et contenant les mots-clés (en anglais) « global climate change », aucune n’était en désaccord avec une responsabilité humaine dans le réchauffement climatique.
Une douzaine de compilations, utilisant des échantillons différents, ont été publiées dans les années suivantes: elles arrivaient à des pourcentages variant entre 97 % et 100 %. Plus récemment, en 2021, une équipe de l’Université Cornell concluait que, sur la base de 3000 recherches parues depuis 2012, 99,9 % des experts s’entendaient sur la responsabilité humaine dans l’actuel réchauffement climatique.
Mais ces pourcentages ont toujours différé des opinions de la population en général. Tout dépendant des périodes et des pays, on pouvait trouver au moins 10% et parfois jusqu’à 30% des gens qui croyaient que l’actuel réchauffement climatique était purement naturel. Encore cet été, selon un sondage Research Co, 27% des Canadiens croyaient à des causes « surtout naturelles », et 8% considéraient l’actuel réchauffement climatique comme « une théorie qui n’a pas encore été prouvée ».
Depuis les années 2000, de nombreuses enquêtes journalistiques et recherches scientifiques ont pointé le rôle qu’ont eu des campagnes de relations publiques, souvent financées par l’industrie des carburants fossiles, pour entretenir précisément ce doute ou pour créer l’illusion d’une « controverse scientifique ». Mais plus récemment, l’attention s’est portée sur la place occupée par les réseaux sociaux.
On sait à quel point les algorithmes de ces plateformes sont conçus pour favoriser « l’engagement » —c’est-à-dire les contenus qui généreront le plus d’émotions, donc le plus de « j’aime » et de « partages ». Pour trois chercheurs britanniques qui écrivaient à ce sujet en 2020, les « biais algorithmiques » qui créent des « chambres d’écho » rendent leurs usagers « plus susceptibles de consommer, accepter et répandre de la désinformation » sur les changements climatiques.
Le cas Twitter
En février 2023, une étude française du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), s’appuyant sur plusieurs années de données de Twitter (la plateforme aujourd’hui appelée X) conclut que, parmi les comptes qui ont abordé la question du climat, environ 30% nient la responsabilité humaine dans le réchauffement climatique. Ces comptes ont fortement tendance à être reliés entre eux, c’est-à-dire à former des « communautés » qui partagent les mêmes informations. Les chercheurs notent des pics d’activité correspondant à l’approche des rencontres annuelles sur les changements climatiques (comme la COP27 en novembre 2022) ou à des événements d’actualité (feux de brousse en Australie, canicules, sécheresses).
Un mois plus tôt, en janvier 2023, un rapport de l’Institute for Strategic Dialogue (ISD), un groupe britannique réunissant des chercheurs et des militants, constatait qu’une petite poignée d’acteurs climatosceptiques arrivait à obtenir une portée et un « engagement » disproportionnés. On notait aussi la popularité, depuis juillet 2022, du mot-clic #ClimateScam (« arnaque climatique ») : celui-ci avait atteint son pic de popularité en décembre, pendant la COP27. Le compte ayant le plus contribué à sa diffusion semblait être un « robot » qui avait posté plus de 60 000 messages en quatre mois.
C’en était au point où une recherche sur Twitter avec le mot-clef « Climat » amenait la plateforme à suggérer « ClimateScam » en premier, et ce « en dépit des données qui montrent davantage d’activité et d’engagement avec d’autres mot-clics comme #ClimateCrisis et #ClimateEmergency », poursuivait l’ISD. « La source de cette viralité » n’a pas pu être élucidée, écrivent les auteurs, soulignant dans le même paragraphe « le besoin d’une plus grande transparence ».
Il s’agit d’une allusion au fait que les grandes plateformes ont été particulièrement opaques quant à la façon dont fonctionnent leurs algorithmes respectifs. C’est même un problème qui, dans plusieurs pays, est au coeur des réflexions sur une éventuelle réglementation des plateformes (et de l’intelligence artificielle): qu’est-ce qui détermine qu’un compte va apparaître plus souvent chez les usagers ? Quels sont les critères qui déterminent qu’une idée, qu’elle soit vraie ou fausse, aura prépondérance?
En dépit des limites de sa transparence, c’est néanmoins Twitter qui a généralement été la plus ouverte : son « API » (Application Programmer Interface) permettait à des tierces parties d’accéder à une partie de sa base de données, et c’est ce qui explique que beaucoup d’études, ces dernières années, ont porté sur les comportements des usagers de Twitter plutôt que d’autres plateformes. En mars dernier toutefois, la compagnie mettait fin à la gratuité de ce service.
Le cas Facebook
On dispose malgré tout de quelques données sur les flux de désinformation climatique sur Facebook. Au moins trois groupes ont pondu des rapports en ce sens en 2021.
- Sur 7000 messages décrivant en 2021 le discours sur le climat comme étant « hystérique », « alarmiste » ou « une arnaque », seulement 8% avaient été étiquetés comme de la désinformation (en vertu d’un programme qui, depuis 2017, permet à des médias de vérifier des messages jugés douteux), selon un rapport du Center for Countering Digital Hate (CCDH), un organisme à but non lucratif qui lutte contre la désinformation en ligne et les propos haineux.
- Entre 813 000 et 1,36 million de personnes par jour auraient vu de la « désinformation climatique » publiée en 2021 par seulement 200 comptes Facebook, selon un rapport des groupes militants Real Facebook Oversight Board et Stop Funding Heat. Certaines de ces pages Facebook portaient des noms aussi parlants que « Climate Change is Crap » et « Man-Made Climate Change is a HOAX ».
- Au Texas, parmi les messages qui, en février 2021, avaient répandu la fausse information selon laquelle l’énergie éolienne aurait été responsable des pannes d’électricité lors de la tempête de verglas, seulement 0,9% avaient été étiquetés désinformation par Facebook, selon la branche locale du groupe environnemental Les Amis de la Terre.
Enfin, on notera que, parmi les « Facebook papers » —des documents internes dévoilés en octobre 2021 par une ex-cadre, Frances Haugen— il était question de désinformation climatique: par exemple, un employé s’était inquiété dans un mémo du fait que la vidéo militante « Climate Change Panic is Not Based on Facts » était le deuxième élément proposé lorsqu’on faisait une recherche avec les mots « climate change ».
Pour enfoncer un peu plus le clou, l’Institute for Strategic Dialogue notait que, selon la « bibliothèque des publicités » de Meta —née d’un compromis de la compagnie qui chapeaute Facebook et Instagram face aux demandes de transparence en temps d’élections— on trouvait, entre les 1er septembre et 22 novembre 2022, 3781 publicités émanant de groupes faisant la promotion des carburants fossiles et qui avaient rapporté à Meta de 3 à 4 millions$ US.
Sur YouTube et TikTok?
Beaucoup moins de recherches se sont penchées sur les plateformes de vidéos. Sur YouTube, selon une compilation effectuée par le CCDH et une coalition d’organismes appelée Climate Action Against Disinformation, en date du 17 avril 2023, 200 vidéos présentant des informations fausses ou trompeuses sur le climat avaient été vues 73,8 millions de fois.
Quant à TikTok, la compagnie a spécifiquement inscrit dans ses « normes de la communauté » (community guidelines), en avril 2023, qu’un contenu « qui porte atteinte au consensus scientifique bien établi » sur le climat, ne serait pas autorisé. En juin 2023 toutefois, un reportage de la BBC a identifié, uniquement en anglais, 365 vidéos qui niaient la responsabilité humaine dans les changements climatiques.
YouTube a la même politique, mais uniquement pour la publicité.
Est-ce que ça empire?
Pour savoir si la situation se dégrade, c’est essentiellement du côté de Twitter qu’on pouvait se tourner ces dernières années, grâce à l’accès partiel à sa base de données. Selon une étude parue dans Nature Climate Change en 2022, il y aurait effectivement une « polarisation croissante » lorsqu’on observe les interactions autour des périodes des COP annuelles, de 2014 à 2021.
L’achat de la compagnie par Elon Musk, en octobre 2022, pourrait avoir accéléré le phénomène: le rapport de l’ISD de février 2023 était le deuxième sur la question et, par rapport au précédent, en juin 2022, « nous avons observé une résurgence frappante du déni climatique, réminiscence des arguments des années 1970 ».
Entre autres gestes, le nouveau propriétaire a mis à pied en novembre 2022 une grande partie des équipes de « modérateurs » — ceux chargés de traquer les propos haineux et la désinformation —, a rétabli un grand nombre de comptes qui avaient été bloqués au cours des années précédentes et a instauré le principe d’un « crochet bleu » payant —le crochet bleu permet apparemment à un compte de « grimper » dans l’algorithme, donc d’apparaître plus souvent sur les écrans des usagers. Il en a résulté une montée en puissance des propos haineux et d’extrême-droite, mais aussi, selon toute probabilité, de la désinformation climatique.
La montée du mot-clic #ClimateScam avait toutefois commencé avant la prise de possession par Musk. Mais elle ne semble pas avoir d’équivalent sur Facebook, notait l’ISD.
Le site de vérification des faits Health Feedback, qui a comparé les semaines avant et après l’acquisition, estimait que le taux « d’engagement » des « super-propagateurs » de désinformation (pas seulement celle sur le climat) avait augmenté de 42 %: autrement dit, leurs messages sont, en moyenne, 42 % plus partagés, aimés ou commentés.
S’il devait se confirmer qu’il y a une hausse, elle s’incarnerait aussi dans les propos « toxiques ». L’étude du CNRS remarquait en février 2023 que, sur Twitter (aujourd’hui appelé X), « la communauté dénialiste produit ou relaie 3,5 fois plus de messages toxiques » (définis comme « des obscénités, des insultes, des menaces, des attaques sur le genre ou la religion ») et utilise près de trois fois plus de robots pour harceler, que les autres communautés. Dans un reportage de France Info en août 2023, on faisait état de commentaires sur le physique et la sexualité des scientifiques, des journalistes ou des vulgarisateurs, d’attaques contre leurs familles et d’un « déferlement de haine ».
Pour la paléoclimatologue française Valérie Masson-Delmotte, « la montée de l’agressivité sur X est spectaculaire et nauséabonde ». Outre-Atlantique, en juin dernier, le météorologue d’une station de télé de l’Iowa a annoncé sa démission en invoquant des menaces de morts et du harcèlement subis chaque fois qu’il parlait de changements climatiques.