Présenté à la Berlinale plus tôt cette année, Femme est un percutant premier long-métrage qui marque grandement les esprits, n’en déplaise à quelques raccourcis et plusieurs fils blancs qui font un peu défaut, même dans la logique interne de la proposition. Une expérience choc qui risque de nous habiter un bon moment après le visionnement.
On vit à une époque tordue et le film Femme le sait bien. Pour des raisons difficiles à expliquer (du moins pour ceux qui ont l’ouverture d’esprit nécessaire pour avancer), ce qui ne devrait pas poser problème devient inutilement compliqué. C’est dans cette incompréhension que nous arrive le personnage de Jules, drag fière, talentueuse et acclamée qui se verra la proie de commentaires et d’attaques de la part d’une bande de petits truands anglais.
Virant au drame, sa vie changera du tout au tout, incluant sa personnalité, essayant tant bien que mal de laisser derrière lui les traumas de son agression.
Le hic, petite ville oblige, son chemin recroisera celui de son agresseur et leurs destins demeureront désormais liés.
Clichés, conventions, attentes. Disons que Sam H. Freeman et Ng Choon Ping s’amusent grandement à jouer avec et même à les déjouer avec leur premier long-métrage adapté de leur court-métrage du même nom duquel ils ont voulu se distancer notamment en changeant les acteurs d’origine, parmi qui on trouvait nul autre que Harris Dickinson.
Ainsi, il faut vivre le film, qui met l’intensité dans le tapis, pour y déceler toute la complexité et les nuances marchant sur un très mince fil de fer que le scénario développe de très habile façon. Rien n’est jamais ce qu’il prétend être et ce sont ces ambiguïtés, mais aussi plusieurs surprises savamment construites qui apportent tout le brio au long-métrage.
Et disons que le projet est extrêmement bien fignolé. Les costumes, les maquillages, les coiffures, mais aussi les images majoritairement nocturnes de James Rhodes, qui sait exactement quand faire ressortir la couleur, tout comme ce montage très serré qui ne laisse que bien peu de place pour respirer, en font une création qui malgré la dureté de son sujet et de ses propos, se laisse regarder fluidement.
On y parle donc de vengeance, de quoi nous rappeler plusieurs films coréens, on nous parle d’apparences, aussi, et à sa manière, on nous parle aussi d’amour.
Certes, on pourrait croire que le film ressasse les idées préconçues habituelles de l’homosexuel refoulé, de l’homophobie plaquée et des réflexes de victimes. Pourtant, lorsqu’on creuse un peu, on réalise que c’est justement en ne rendant pas tout complètement noir ou complètement blanc que le film réussit le plus.
L’oeuvre doit d’ailleurs beaucoup à son duo principal qui habite ces rôles qui ne sont pas faciles à défendre. Nathan Stewart-Jarrett, aperçu précédemment dans la superbe relecture de Candyman de Nia DaCosta, est impeccable en protagoniste et on croit sans mal aux diverses métamorphoses qui s’opèrent en lui. On croit ainsi à sa fierté, sa force, mais aussi ses peurs, ses angoisses et ses faiblesses.
Sauf que c’est George MacKay qui éclipse tout sur son passage. Celui qui s’est fait majoritairement connaître du grand public à la tête du 1917 de Sam Mendes se donne corps et âme dans un rôle d’antagoniste qui se détache grandement de ce qu’il incarne habituellement. Le look et les tatouages aident, mais sa performance est tellement réaliste qu’on a rapidement l’impression d’avoir déjà rencontré un jour ou l’autre cet être aussi imprévisible que torturé toujours à deux doigts d’exploser.
Impuissants, on est témoins d’une dynamique tordue qui s’insinue entre les deux dans un jeu de séduction qui nous travaille grandement les méninges. Les rapports de domination développés ici et là sont d’ailleurs bien plus brillants que simplement intrigants. Beaucoup d’éléments resteront en suspens dont le pourquoi de bien des décisions qui sembleront discutables, mais néanmoins réalistes dans un contexte impulsif de survie.
Femme nous entraîne donc dans un maelström d’émotions qui, à l’instar de ses personnages, ne cherche pas à nous laisser nous en sortir indemnes. Il y aura certes beaucoup de discussions qui pourront s’en suivre, surtout avec cette finale glaçante qui n’a certainement pas envie de résoudre les plus gros conflits, mais c’est sans conteste une expérience forte qui nous rappelle le pouvoir parfois terrifiant du cinéma.
7/10
Pour l’instant, Femme, d’abord présenté au festival Fantasia où il y a gagné un prix d’interprétation pour Nathan Stewart-Jarrett, puis à Image+Nation, n’a pas de distributeur au Québec. Il n’y a donc pas de sorties prévues en salle ou sur une plateforme dans un avenir proche.