Le talent et les bonnes idées ne manquent pas dans le nécessaire Close to You. Un long-métrage qui marque surtout parce qu’il offre le premier rôle post-transition au cinéma pour l’acteur canadien de renom Elliot Page, que tous ont majoritairement connu dans Juno, film qui lui a valu une nomination aux Oscars. Le résultat, par contre, est entre la figue et le raisin et ne convainc pas autant que ses intentions, avouons-le, plutôt floues.
D’emblée, le but est clair: ouvrir le discours sur la réalité trans. Page a d’ailleurs collaboré à l’histoire et on sent à de nombreuses reprises que le tout est éminemment personnel.
Dès la prémisse, et le ton surtout, toutefois, cela se corse.
Le point de départ est classique : le retour aux sources. Après environ quatre ans d’absences, Sam retourne à la fois au bercail et dans sa famille qu’il n’a pas vu depuis qu’il a quitté abruptement pour Toronto et qu’il a eu son opération, le tout dans le cadre des festivités entourant l’anniversaire de son père. Le choix du patriarche n’étant d’ailleurs certainement pas anodin dans le jeu des dualités.
Ce concept de retrouvailles est tout ce qu’il y a de plus convenu et conventionnel et est utilisé ad nauseam partout, du théâtre à la télévision, en passant bien sûr par la littérature et le cinéma. Tout comme le thème de la famille, il s’agit après tout d’un bassin infini de possibilités qui peut pousser les dynamiques dans toutes les directions possibles.
Mieux, pour pimenter le tout, Page a fait appel au Britannique Dominic Savage, qui a débuté comme acteur notamment pour Kubrick, mais qui s’est réinventé en tant que réalisateur avec une méthode inédite : l’improvisation. Ainsi, tout le film part de scènes et de situations, sans dialogues pré-écrits, et tout ce qui y est joué est improvisé par les comédiens.
Des acteurs inégaux
Dommage que cette technique montre rapidement les limites du concept et les écarts souvent très notables entre les comédiens, qui n’ont certainement pas la même facilité dans cette approche. Certes, Page est aussi ahurissant qu’à ses habitudes et éclipse régulièrement ses partenaires. On retient néanmoins Peter Outerbridge, hallucinant dans le rôle du père tout en naturel et en tendresse avec à son arc plusieurs des meilleurs répliques du film, et Wendy Crewson, assez détonante dans le rôle de la mère qui montre assez bien le visage plus commun de ceux qui veulent faire face avec ouverture à cette réalité, mais sans savoir comment s’y prendre. Andrew Bushell, sous-utilisé, allège avec bonheur le ton tandis qu’on n’utilise certainement pas assez les personnages de ses frères et ses sœurs, au même titre que Jim Watson qui comme dans Fingernails fait plus figure de cameo.
On regrette également beaucoup qu’on a opté pour un ton très dramatique et, sans ironie, très canadien. La musique envahissante, les tonalités grisâtres de l’hiver, la monotonie et le mélodrame de l’avant, on manipule déjà le spectateur pour qu’il voit négativement ou presque tout ce qui se passe à l’écran. Difficile donc de croire au bonheur lorsqu’on en parle tellement l’atmosphère est déjà inutilement alourdie.
Pourtant, il y avait moyen, avec ce film, d’en faire beaucoup de choses, du suspense angoissant (on pense au brillant Tyrel de Sebastián Silva qui abordait les micro-agressions) à la délirante comédie (un peu comme Happiest Season qui parvenait régulièrement à se sauver des clichés gênants, gracieuseté de la sensibilité de Clea DuVall). Après tout, les scènes de famille marquent les esprits de par leur justesse, que ce soit dans le malaise ou dans le conflit.
C’est ce manque de lumière qui finit par faire mal au film, surtout, aussi, parce qu’on a voulu associer l’émancipation du personnage par le biais d’une ancienne flamme malentendante. Sauf que cette romance envahissante trouve difficilement sa voie dans le récit principal et ne parvient jamais ni à cultiver l’intérêt ni à nous pousser vers une certaine part de sympathie et d’espoir pour l’avenir de notre protagoniste. Le dernier tiers frôle d’ailleurs régulièrement le ridicule.
Close to You demeure un film nécessaire et actuel qu’on a voulu rassembleur, mais qui ne l’est qu’à moitié. Pour le public, il s’agit de savantes retrouvailles avec le talentueux Elliot Page, et mis à part quelques réflexions bien lancées (est-ce que la famille est vraiment ce qu’il y a de plus important? Jusqu’à quel point peut-on pardonner et donner des chances?), on regrettera que le discours post-transition manque de convictions. Cela dit, heureusement qu’on ne s’attarde que bien peu à la transition en tant que telle, ce qui aurait été inutile et permet au contraire de garder son regard vers l’avant, vers un avenir qu’on espère plus ouvert et qui ne l’est encore que trop peu.
6/10
Close to You était présenté dans le cadre du festival Image+Nation. Il est distribué par Mongrel au Canada et sa branche Métropole Films au Québec. Aucune date de sortie n’est annoncée, pour l’instant.