La culture et les tactiques des services policiers américains et britanniques sont souvent décrits comme étant militarisés, mais le développement d’une force si excessive était mal compris jusqu’à maintenant. Une nouvelle étude du professeur de sociologie Julian Go, publiée dans un livre intitulé Policing Empires: Militarization, Race, and the Imperial Boomerang in Britain and the US, affirme que l’impérialisme, à l’étranger, est donc directement lié aux méthodes policières sur le territoire national.
De fait, selon le Pr Go, ces deux réalités peuvent être liées par des facteurs mondiaux et historiques, ce qui permettrait aussi d’expliquer une approche qu’il qualifie de « raciste et agressive ».
« Nous avons tendance à penser aux efforts policiers sous la forme d’un problème immédiat qui pourrait n’être apparu que lors des dernières décennies », dit-il. « Mais pour véritablement comprendre la complexité de l’organisme policier et les problèmes qui y sont associés, nous devons posséder une compréhension plus importante, qui peut être obtenue en réfléchissant sur les plans historique et mondial. »
Le Pr Go soutient que son exploration de ce sujet a été déclenché, en partie, par des cas très médiatisés d’utilisation excessive de la force par des policiers, ces dernières années. Mais il étudie aussi, depuis longtemps, l’empire colonial américain et ses interventions dans des endroits comme les Philippines, Porto Rico et ailleurs – ce qui, dit-il, l’a mené à établir des connexions entre la militarisation des polices américaine et britannique, et la colonisation effectuée par ces deux pays.
Toujours au dire du Pr Go, il est étrange que les forces policières de ces deux pays soient équipées et entraînées comme une armée, ce qui signifie, en gros, qu’elles se préparent à se battre contre les citoyens et à les traiter comme des combattants ennemis. De plus, ce sont les citoyens eux-mêmes qui payent pour que la police soit équipée comme une force armée.
Dans son étude de l’histoire des méthodes employées par la police, le Pr Go dit avoir constaté que l’intention originelle n’avait rien de l’adaptation des techniques militaires. La tradition américaine était basée sur ce qui se faisait au Royaume-Uni, un ensemble de techniques qui remontent au 19e siècle, avec la police de Londres. Mise sur pied par Robert Peel, cette force de police a été expressément créée sous la forme d’une institution non militarisée pour représenter une alternative face aux troupes. Mais dès le départ, cette idée a rapidement changé pour emprunter la voie de la militarisation constatée de nos jours, indique le chercheur.
Effet boomerang
Pour comprendre cette transformation, estime le professeur, il faut comprendre l’adoption des tactiques, outils et cultures militaires. Ce que les médias et les chercheurs appellent militarisation, dit-il, est ce qu’il décrit comme un « boomerang impérial ».
« En d’autres mots, lorsque vous vous penchez sur les moments, dans l’histoire, où la police s’est militarisée, ce qu’elle faisait, en fait, c’est s’approprier les outils et les tactiques des méthodes employées pour faire respecter la loi et l’ordre dans les possessions coloniales, outremer, et celles associées aux interventions militaires, à l’étranger, qui sont liées à l’expansion impériale », dit-il.
Le Pr Go évoque aussi des moments clés où la police s’en est remise à des outils et des tactiques impériaux ou coloniaux. Lorsque cela se produit, dit-il, ce que les forces policières font, c’est répondre à des menaces raciales présumées, à une possible peur de la révolution, ou d’éventuelles craintes de rébellion dans les rues.
« Le tout s’appuie sur des bases raciales dans le sens où la police imagine toujours que ces explosions de violences ou de désordre social soient alimentées par des populations non blanches, bien souvent des immigrants ou des Noirs installés aux États-Unis et au Royaume-Uni », mentionne le chercheur. Ces populations qui ont déclenché cette menace racisée ont varié avec le temps, regroupant à une époque des groupes comme les Irlandais, par exemple.
Selon le Pr Go, la réaction militarisée de la police s’appuie sur la construction voulant que les citoyens soient des sujets coloniaux, des individus méritant la violence. Historiquement, affirme le chercheur, les peuples que les États-Unis et le Royaume-Uni ont considéré comme méritant un contrôle coercitif, à l’étranger, étaient jugés comme étant non civilisés, fondamentalement violents et ne méritant pas les pleins droits – ce qui justifierait le colonialisme.
« Si je devais écrire une formule pour indiquer ce que ces événements historiques représentent, cela donnerait le fait que la police se militarise lorsqu’elle perçoit l’existence d’une menace raciale envers la loi et l’ordre », dit-il.
Réfléchir à l’échelle mondiale
Si le Pr Go dit espérer que son livre permettra de rejoindre un grand nombre de chercheurs et d’historiens, il vise également à ce qu’un public plus vaste comprenne comment l’impérialisme, à l’étranger, et l’imposition de l’ordre par la police, sur le territoire national, sont directement liés.
Ainsi, si l’on souhaite changer les tactiques employées par la police, juge le professeur, alors les citoyens doivent envisager de s’allier avec les populations d’autres pays, dans d’autres contextes. Parce qu’aux yeux du chercheur, la façon dont la police traite la population, à l’intérieur des frontières américaines et britanniques, est liée à la façon dont Washington et Londres traitent les peuples étrangers.
« J’ai commencé à voir à quel point la rhétorique et la perception générale de la criminalité et du désordre ont une teinte raciale, et à quel point ce phénomène est un exemple de colonialisme, sans même qu’on le réalise », a encore indiqué le professeur.
« L’idée est qu’il existe des peuples fondamentalement sauvages et méritant de subir de la violence. Et cela, je crois, est quelque chose d’implanté bien loin dans l’imaginaire collectif. Lorsqu’il est question de changer les méthodes policières, nous devons nous attaquer à cette perception inconsciente que les criminels sont fondamentalement violents, sont des gens sauvages, alors qu’ils sont en fait des êtres humains et nos concitoyens. »