Run de lait, c’est tout une mise en scène astucieuse, proche de l’installation artistique, pour ce théâtre documentaire sur l’industrie laitière au Québec. Justin Laramée imaginait sortir de ses investigations une courte présentation d’une dizaine de minutes, mais la pièce de deux heures est devenue le projet le plus important de sa vie.
Dans ce qui débute comme une conférence, l’artiste se met en scène, lui et sa famille, avec de nombreux autres protagonistes, et forme un duo intéressant avec son complice Benoit Côté au clavier et à la batterie, entre autres choses. L’industrie laitière au Québec est en transformation constante, avec ses réformes, ses inerties, ses inepties aussi; avec des personnes qui tirent leur épingle du jeu ou s’enrichissent, et d’autres qui sombrent dans le désespoir et disparaissent.
Sur scène, 10 haut-parleurs noirs et blancs de différentes tailles, juchés sur des pieds élevés. Si la pièce Run de lait comprend seulement deux artistes, ces haut-parleurs donnent la voix à de multiples personnages qui interviennent parce qu’acteurs bien vivants et réels de ce dossier autour de l’industrie laitière, ou parce que présents au moment de la pandémie dans l’entourage de l’enquêteur lui-même. Justin Laramée joue d’ailleurs parfois le rôle de certains de ces protagonistes. Tout cela donne l’occasion de situations parfois très émouvantes, parfois cocasses et pleines d’autodérision.
On suit Justin Laramée dans son enquête, ses déplacements, alors qu’il obtient des confidences et des explications à propos du système qui l’intrigue.
Le dossier est compliqué et le parcours, semé d’embûches. Il y a les petits exploitants qui se plaignent à raison de leur travail harassant et d’un système qui les dépasse et dans lequel ils n’ont aucune chance de survivre; les grosses entreprises qui ne sont pas forcément prêtes à ouvrir leurs portes et leurs dossiers à l’enquêteur; les universitaires ou spécialistes du domaine qui sont loin d’être d’accord entre eux sur le diagnostic et les remèdes; les politiques qui paraissent essayer d’accommoder tout le monde et complexifient encore le système, laissant au passage des brèches d’absurdités dans lesquelles s’engouffrent certains acteurs pour tirer parti des changements et sans s’apercevoir peut-être qu’ils vont à l’encontre de leur mission.
Le système se complique à mesure qu’il se réforme. Il laisse sur la touche les plus faibles, ceux qui n’ont pas su ou pas pu ou pas pensé qu’ils devaient s’adapter. Il permet aux mieux nantis et mieux équipés juridiquement de réussir là où les autres échouent. Quant aux consommateurs individuels que nous sommes, nous avons peu de poids dans le système et sommes animés de motivations personnelles à l’achat, en trouvant souvent que les produits sont toujours trop chers.
Le public sort du spectacle un peu plus au fait de certains enjeux de cette industrie qui tient une énorme place dans sa consommation, pas seulement de lait, mais de ces produits transformés que sont le beurre, le fromage, la crème glacée et bien d’autres. Il n’y a pas vraiment de prise de position, car comme dans bien d’autres dossiers, il n’y a pas de volonté diabolique de prendre le pouvoir, mais plutôt des coups de chance, des bons choix, sans oublier des gouvernements qui regardent à court terme et ne sont pas très brillants dans les dossiers qu’on leur confie.
Run de lait a été créée au Trident, à Québec, en mars 2022. Il est en reprise pour quelques jours au théâtre Jean-Duceppe, à Montréal.
Run de lait
Texte et idée originale: Justin Laramée
Mise en scène: Olivier Normand et Justin Laramée
Interprétation: Justin Laramée, accompagné de Benoît Côté
Du 22 au 26 novembre 2023 au théâtre Jean-Duceppe, à Montréal