Que disent les images qui sortent de nos appareils de photos et qui fixent le réel, sans visée manipulatrice ou artistique? Pour les observateurs qui rencontrent ces images et ignorent le contexte dans lequel elles sont apparues, elles constituent une source d’interrogation, d’interprétations, de récits fictionnels et de discours évocateurs et imaginatifs. Aidée de son complice Michael Martini, Maria Kefirova a imaginé des fictions sur de multiples photographies datant de son pays de la fin des années 1990. Il en est ressorti The beach and other stories, un spectacle de danse et de performance qui donne à réfléchir sur la Bulgarie postcommuniste.
D’origine bulgare, la chorégraphe Maria Kefirova établie à Montréal croit au pouvoir d’évocation des images. À partir d’une sélection d’archives, des photographies d’Olivier Tuliez sur le quotidien des Bulgares entre 1996 et 1998, elle et Michael Martini qui n’est pas un spécialiste de ce pays d’Europe, co-écrivent autant de récits fictionnels qui débouchent sur un spectacle où l’installation, la danse, la performance font émerger quelque chose de l’Europe postcommuniste et peut-être de l’humanité entière.
Située entre la Roumanie, la Serbie, la Grèce et la Turquie, au cœur des Balkans avec ses villes enneigées l’hiver et ses baigneurs sur les plages de la Mer Noire, ses tonalités russes ou ottomanes, la Bulgarie est un pays tiraillé entre de multiples influences historiques et qui a été agité par une certaine instabilité, après la chute des régimes communistes d’Europe dont elle faisait partie. La liberté fut difficile à conquérir.
Les clichés en grand format sont découverts un à un par l’artiste et présentés au public, accrochés à des fils comme du linge à une corde à sécher. Tout en dansant sur des musiques rythmées, la performeuse solo déclame ses histoires, comme nous pourrions le faire aussi, comme on tournerait les pages d’un vieil album de photos.
Il en ressort des observations souvent humoristiques, des commentaires sur l’allure des gens, ce qu’ils font, ce qu’ils vivent… deux femmes bavardent sur un banc dans un parc; une immense banderole couvre les fenêtres d’un immeuble pour annoncer un restaurant; un ours sans doute attaché à une laisse côtoie des personnes qui parlent dans la rue; deux hommes marchent sur un trottoir recouvert de neige et luttent contre le vent qui souffle; dans un parc, deux autres jouent au backgammon pendant que des promeneurs profitent du soleil; un mannequin de présentation d’articles de mode porte lunettes de soleil et écouteurs de musique; dans une rue inondée par une fuite d’eau, deux personnes balaient le caniveau pour éviter les débordements…
Sans le vouloir ni le chercher, les mini-récits révèlent des aspects décousus et aléatoires d’une société qui vit, qui se remet lentement d’une période difficile où la liberté brimée obligeait à la méfiance ou au secret. Sans rien connaître ou presque de cette société, il m’a semblé que ces images montrent qu’à l’avènement d’une liberté à laquelle une population n’était pas habituée, la société qu’elle constitue se transforme en quelque chose d’à la fois entièrement différent et quasiment identique. Heureusement, la liberté est là, mais ses effets visibles ne sont pas forcément les plus attirants, et dans l’intériorité des humains, elle doit faire l’objet d’un travail de conquête.
The beach and other stories
Conception, chorégraphie et interprétation: Maria Kefirova
Texte: Maria Kefirova et Michael Martini
Du 16 au 19 novembre 2023 au théâtre La Chapelle, à Montréal