Tout juste récipiendaire du Prix du jury Post-Moderne de la compétition Films du Québec au plus récent Festival de films francophones Cinémania, Sucré seize est une fascinante entrée vers le long-métrage pour l’actrice Alexa-Jeanne Dubé, qui se parfait derrière la caméra depuis plusieurs années déjà.
Quiconque comprend les possibilités infinies de son medium s’ouvre à un terrain de jeu au plaisir sans fin. C’est probablement ce qu’on peut retenir du projet ambitieux et audacieux de Dubé, qui brouille allègrement les pistes, les genres et les arts pour ne faire qu’un en un objet artistique unique et, à ses heures, inoubliable.
Un peu à l’image de ses rôles qui prouvent régulièrement son côté caméléon, Alexa-Jeanne Dubé aime également explorer en tant que réalisatrice. Certes, elle peut s’adonner à une forme classique sans problème, comme l’a prouvé le plus narratif, mais non moins fantaisiste Joutel, mais elle n’a pas eu peur d’offrir quelque chose de moins convenu, comme S.D.R., adaptation libre de la nouvelle Est-ce qu’on se sépare?, ou de son installation artistique Scopique.
Ici, en collaboration avec le Théâtre de L’Opsis et sa directrice artistique et générale Luce Pelletier par le biais d’une commande, elle retourne aux textes, aux mots (qui ne sont pas les siens), au plaisir de jouer donc, mais également au théâtre. Sucré seize, c’est la création de Suzie Bastien : huit monologues de jeunes femmes, d’adolescentes.
Les exemples du genre sont nombreux et sans tomber dans l’exhaustif, il y a récemment eu la captation de La fureur de ce que je pense pour Télé-Québec, adapté des mots de Nelly Arcand, qui en a conservé le côté scénique, ou encore Hygiène sociale de Denis Côté (du même distributeur), qui malgré son origine purement cinématographique, s’est librement donné un côté théâtral sous forme de tableaux fixes.
Dans l’œuvre qui nous intéresse, Dubé utilise ce point de départ pour mieux explorer les limites du cinéma. Ainsi, chaque monologue devient l’excuse parfaite pour des tableaux uniques qui se métamorphosent et se réinventent dans la forme, dans le montage (elle qui a judicieusement utilisé le split-screen et d’autres techniques de montage dans ses créations précédentes), et dans la musique choisie, notamment. Les fans de Stéphane Lafleur risquent par ailleurs d’être choyés avec une autre admirable utilisation de la brillante pièce Soyez visibles du groupe Organ Mood.
Pas question de simplifier les monologues et le travail de mise en scène de la réalisatrice, tout comme sa vision, impressionnent. Avec un film entièrement tourné en lumière naturel et, par le fait-même, dans la nature de l’Estrie, sous la lentille attentive de Emili Mercier, on joue sur les couleurs, sur les costumes, sur les maquillages, sur ce qui brille, interprètes incluses.
En effet, le film ne serait rien sans ses huit fabuleuses actrices, dévouées corps et âme au projet : Julie Boissonneault, Pénélope Ducharme, Laurence Trudelle, Charlène Beaubien, Roxane Lavoie, Doriane Lens-Pitt, Melania Balmaceda-Venegas, Marie Reid, toutes fraîchement diplômées. Un autre choix risqué, mais gagnant, considérant les gros noms que Mme Dubé a rassemblé dans ses réalisations précédentes.
Loin de s’en tenir au simple concept d’adapter une création théâtrale, elle s’est également permis de décliner le tout en une symphonie, elle-même séparée en quatre mouvements distincts.
Par définition, ce genre de projet est inégal. Selon les thématiques (le premier baiser, la violence, le sexe et les réseaux sociaux, pour ne nommer que ceux-là), ce ne seront pas les mêmes textes qui habiteront de la même manière les spectateurs et ce ne sont pas les mêmes tableaux qui vont marquer ou ressortir pour chacun. C’est peut-être également ce qui crée à la fois sa force et ses faiblesses.
De notre côté, face à un premier monologue aussi fort et habité, les autres tableaux en souffrent même si la richesse visuelle et artistique continue d’épater. Heureusement, le dernier monologue ravive l’intérêt avec vigueur avant de nous laisser sur l’épilogue le plus judicieux possible.
Sucré seize demeure donc une hypnotisante proposition loin des conventions (comme notre cinéma ose difficilement se le permettre, malheureusement), casse-gueule en totalité, mais nécessaire de par sa bienveillance et son intérêt marqué pour la beauté de la jeunesse.
Le tout se dévoile via le quotidien tantôt glorieux, tantôt plus dur et ravageur de ces femmes en quête d’émancipation et de repères dans un monde qui ne rend décidément pas toujours les choses faciles. Un long-métrage qui ne sera pas du goût de tous, mais que tous gagneraient à s’y intéresser. Ô belle jeunesse, ô belle créativité.
7/10
Sucré seize devrait prendre l’affiche en salle en 2024 via H264. Aucune date officielle n’a encore été dévoilée.