Il y a neuf ans, des biologistes avaient annoncé avoir « créé » le premier chromosome synthétique de ce champignon microscopique qu’est la levure. Aujourd’hui, le même groupe de biologistes en est arrivé à une levure dont plus de 50 % du génome a été créé en laboratoire.
Ou du moins, en bonne partie en laboratoire. Sur les 16 chromosomes de cette levure de bière (Saccharomyces cerevisiae), six chromosomes et demi ont été « édités et synthétisés » en laboratoire, et un autre a été formé à partir de fragments d’autres parties du génome de la levure (à lui seul, ce chromosome « XI » représente 660 000 paires de base). Le micro-organisme en question peut vivre et se reproduire dans des conditions contrôlées.
Le consortium international de chercheurs de différentes institutions sur quatre continents, appelé Sc2.0 ( Synthetic Yeast Genome project), travaille depuis 15 ans sur ce projet, qui est de créer un organisme vivant qui n’existe pas dans la nature. Mais plus encore, un être vivant qui pourrait produire, sur demande, autre chose que de la bière —par exemple, des médicaments ou du carburant (en fait, la levure est déjà utilisée dans l’industrie pour produire des substances chimiques ou biochimiques). La branche de la biologie s’appelle la biologie synthétique et son premier congrès remonte déjà à 2004. L’annonce a fait l’objet, cette semaine, de pas moins de neuf articles, dans les revues Cell et Cell Genomics.
Cette biologie synthétique est elle-même née de deux avancées survenues dans les 20 dernières années: d’une part, les techniques de séquençage de l’ADN qui sont devenues de plus en plus rapides et de moins en moins coûteuses; et d’autre part, la capacité à fabriquer des gènes en laboratoire plutôt que de les transférer d’un organisme à l’autre. Mais même avec ces « atouts », le travail reste énorme, comme en témoignent ces 15 années pour aboutir à la moitié du génome d’un organisme composé d’une seule cellule. De sorte que la finalité —amener ce champignon microscopique à produire, par exemple, des médicaments, reste encore dans un futur indéterminé.
Les articles scientifiques publiés au cours de la décennie ont révélé qu’au passage, les généticiens cherchent à en apprendre davantage sur ces gènes qui sont, en apparence, inutiles — ceux qui n’encodent pas de protéines, ou qui sont répétitifs. Par essais et erreurs, les experts tentent de découvrir les véritables fonctions de ces gènes ou, à l’inverse, de découvrir quel serait le génome « minimal » qui permettrait encore à un tel organisme de vivre et de se reproduire.
Pendant cette période, des virus et des bactéries ont été constitués entièrement à partir de génomes synthétiques. Mais ils ont des structures génétiques extrêmement simples, comparativement à la levure: par exemple, la bactérie E. coli n’est faite que qu’un seul chromosome. De plus, par rapport à ces autres expériences, celle sur la levure est la première sur un organisme vivant de la catégorie des Eukaryotes: c’est-à-dire ceux qui, comme tous les animaux et végétaux, ont une cellule composée d’un noyau, à l’intérieur duquel est entreposé le matériel génétique. La prochaine étape, anticipe ce consortium, est d’essayer d’en arriver à une levure qui serait, dans leur jargon, 100 % synthétique.