Pour le meilleur et pour le pire, Le livre des solutions est probablement le long-métrage de fiction le plus personnel de l’unique et imprévisible réalisateur Michel Gondry. En découle une folie qui fourmille d’idées, à défaut d’être complètement aboutie ou convaincante.
Se mettre en scène sans se mettre en scène : voilà un peu le plus récent pari de Michel Gondry, qui revient finalement au long-métrage après près d’une décennie d’absence. Lui qui est connu à l’international pour ses vidéoclips, ses publicités, ses courts-métrages, mais aussi ses films de fiction et de documentaire autant français qu’américains, offre quelque chose qui pourrait difficilement être la création de quelqu’un d’autre.
Certes, le récit est librement inspiré de ses propres expériences (incluant des anecdotes quasi identiques aux véritables événements), mais c’est surtout le style et sa poésie naïve singulière qui se feront immédiatement reconnaître par ses plus fervents admirateurs (et détracteurs). Le roi des bricolages et des effets maisons frappe à nouveau et s’intéresse plus frontalement que jamais au milieu du cinéma, encore plus que dans son mésestimé Be Kind Rewind.
Sauf qu’au ton, on se rapproche davantage de La science des rêves, oui, mais aussi au surprenant documentaire L’épine dans le cœur, auquel on pense immédiatement avec le personnage de la tante aimante, compréhensive et patiente, interprétée avec une candeur exceptionnelle par Françoise Lebrun.
En fait, la distribution est irréprochable et saute plus qu’à pieds joints dans cette folle aventure qui multiplie les propositions inusitées. Le ton pince-sans-rire de Blanche Gardin est un mariage de rêve avec l’humour du film, alors que Frankie Wallach et Camille Rutherford continuent de réitérer leur pertinence dans la relève française moins connue.
Là où il y aura débat, c’est certainement du côté de Pierre Niney, qui endosse avec une dévotion ahurissante le rôle singulier qu’on lui a confié. Alter-ego du cinéaste, il incarne avec un abandon total tout l’égocentrisme et le narcissisme aussi hilarant qu’insupportable de Marc Becker. Ce genre de personnage est de plus en plus présent dans les films qui s’intéressent au milieu cinématographique (on pense au récent Passages de Ira Sachs, parmi tant d’autres), mais rarement aura-t-on réussi la dérision avec autant de plaisir.
C’est d’ailleurs, au-delà de la mélancolie inévitable du cinéaste, probablement son film le plus drôle et de loin l’une de ses comédies les plus assumées depuis son déroutant Human Nature. Surtout considérant que certains essaient encore d’oublier son pourtant fort amusant The Green Hornet.
De fait, le film est drôle, très drôle. Qu’on débute de reculons ou qu’on se montre réticent dans la première moitié de l’oeuvre ne sera qu’un maigre obstacle aux rires qui se démultiplierons tout du long tellement l’humour fait mouche et la vaste majorité des répliques et des dialogues se montrent d’une intelligence instantané.
Ainsi, sans trop gâcher les surprises, nombreuses (incluant un cameo qu’on n’oubliera pas de sitôt), on savoure avec brio l’inventivité propre de Gondry qui enchaînent les clins d’œil brillants, les jeux de mots et les délires.
Certes, cette histoire de réclusion a peut-être par moment des airs de prise d’otage (un cinéaste en fuite de ses producteurs s’installe en retrait dans la maison à la campagne de sa tante âgée pour terminer son film avec ses plus fidèles collaborateurs, qui n’ont pas le droit de le quitter avant la fin), mais on se montre rapidement consentant à l’idée. Un peu d’ailleurs comme le récent et génial Yannick de Dupieux le faisait, toujours sur la mince ligne entre le génie et l’agacement.
Par contre, l’humour a beau fonctionner régulièrement à merveille (le rythme est assuré à vive allure et tout va très vite, gracieuseté du montage allumé de Elise Fievet et des compositions enjouées de Étienne Charry), niveau comédie décalée, on pense rapidement à Alain Chabat (qui a d’ailleurs collaboré plusieurs fois avec le réalisateur) et, bien qu’ils essaient, ni Niney ni Gondry ne sont Chabat, et ça se fait sentir. Oui, Gondry renoue avec la narration en voix off qui vaut son pesant d’or à quelques moments, mais rien pour réinventer la roue comme l’avait fait par exemple La personne aux deux personnes.
De plus, le réalisateur se montre chiche dans les clins d’œil meta, comme en fera foi la finale plutôt précipitée. Ainsi, au bout de tout, l’ensemble finit par se montrer plutôt limité dans son récit qui tourne en rond, repousse les frontières de l’absurde, certes, sans pour autant atteindre la profondeur qui aurait pu être nécessaire pour rendre l’ensemble mémorable. Il y a également aussi toujours cet inconfort à savoir si les comportements toxiques, narcissiques et égoïstes du protagoniste sont glorifiés ou condamnés.
N’empêche, Le livre des solutions demeure malgré tout une proposition soignée et immensément divertissante, fort d’une signature des plus personnelles, mais qui manque de peaufinage pour l’élever.
6/10
Le livre des solutions devrait sortir en salles ultérieurement via Entract Films. Toutefois, aucune date n’a encore été annoncée.