Nathalie Saint-Pierre n’est probablement pas la plus connue des cinéastes québécoises et pourtant, elle surprend toujours à chaque proposition. Son plus récent film, Sur la terre comme au ciel, son troisième en autant de décennies, ne fait certainement pas exception.
Au travers d’un savoureux clin d’œil, il est fou de constater tout le chemin parcouru par la réalisatrice Nathalie Saint-Pierre depuis son premier long-métrage Ma voisine danse le ska, il y a 20 ans déjà. Sa curiosité pour les microcosmes inusités en bordure du quotidien est toutefois plus palpable que jamais. Il en va de même pour sa sensibilité.
En faisant équipe avec Marika Lhoumeau au scénario, son premier pour un long-métrage, elle s’intéresse plus que jamais à la lumière dans les parts sombres non seulement de l’être humain, mais aussi de la société. En retrouvant sa fidèle directrice de la photographie Nathalie Moliavko-Visotzky, Mme Saint-Pierre parvient d’ailleurs à filmer Montréal avec un amour, une beauté et une poésie que ne renierait pas Malick et ses disciples. Le travail de repérage force d’ailleurs souvent l’admiration.
Pour l’histoire, après avoir exploré les revers tour à tour inquiétants et rassurants des dédales de la DPJ avec Catimini, Saint-Pierre retrouve la jeunesse, mais nous amène encore ailleurs, en débutant dans une communauté éloignée d’extrémiste religieux. Le préambule pourrait sembler laborieux, mais il est nécessaire pour cette mise en contexte drastique qui permettra à la deuxième partie de prendre son envol avec grâce.
Lors de la disparition de sa sœur aînée, la jeune Clara Gagnon décide de partir à sa recherche à Montréal en fuyant elle aussi sa commune et en trouvant refuge chez sa tante Josiane, une femme solitaire qui noie ses temps libres dans l’alcool et l’humour.
Film de découvertes s’il en est un, voilà une proposition originale qui aborde le coming-of-age d’une manière des plus inusités. De fait, il s’agit aisément d’une création qui parvient à marier l’art plus expérimental à quelque chose de plus grand public.
Certes, impossible de passer sous silence l’incroyable distribution. Dans ses courtes apparitions, Philomène Bilodeau (oui, oui, la fille d’Emmanuel) est lumineuse et rassurante et Édith Cochrane, aussi drôle que touchante, s’acquitte avec brio de ce rôle nuancé loin d’être facile à jouer sans jamais tomber ou presque dans la caricature ou dans le gratuit. Toutefois, c’est la splendide Lou Thompson qui capte notre attention. Sa performance intense et dévouée impressionne et c’est certainement un nom et un visage qu’on risque de revoir régulièrement à l’écran tellement son talent est fulgurant.
Sa métamorphose du corps, ses expressions faciales, son non verbal, certes, mais aussi son évolution, tout comme son émancipation, marquent les esprits au fer blanc. Changeant aisément la perspective de ce qui semble a priori banal.
On dit qu’on s’est donné le luxe de prendre le temps avec les comédiens et de travailler les scènes, mais aussi leur jeu, et cela se fait sentir. La complicité coule de source (le lien familial est à s’y méprendre tellement il est crédible) et le naturel est souvent foudroyant (n’en déplaise peut-être à un simili-intérêt amoureux mal imbriqué et mal développé qui fait écarter la voie essentiellement féminine que le film sous-entendait et empruntait auparavant).
Cette découverte du monde et de soi-même en partant du néant n’est peut-être pas la plus originale, mais elle est livrée avec délicatesse et beaucoup de soin. Également productrice et monteuse de son film Saint-Pierre s’assure de développer les choses et de ne se limiter que partiellement surtout en ce qui a trait au temps et c’est à son honneur, jusqu’à ce qu’elle l’étire peut-être un peu trop.
En effet, la troisième partie finit par tomber dans quelques pièges et d’emprunter des chemins beaucoup plus familiers en voulant un peu trop expliquer et justifier, ce qui avait pourtant été plutôt évité auparavant. Exit la douceur de l’inconnu, on veut boucler la boucle et c’est souvent un peu trop précipité et discordant face au rythme précédent. Les ficelles du scénario deviennent également plus apparentes, surtout aussi parce qu’à l’instar de Louise Archambault et Le temps d’un été, on a préféré ne pas faire appel à un compositeur ou une compositrice pour la musique (bien que le choix et le talent ne manquent pas, ici comme ailleurs) et de se contenter d’acheter les droits d’une multitude de pièces déjà existantes, facilitant certainement la manipulation des émotions que l’on veut clairement soutirer aux spectateurs.
Comment en serait-il autrement après tout avec du Max Richter et du Philip Glass, pour ne nommer que ceux-là ?
On retient toutefois une poignante séquence mettant en scène l’une des chansons les plus bouleversantes de Lisa Leblanc.
Sur la terre comme au ciel demeure néanmoins une proposition éclatante dans notre filmographie qui sait ravir, émouvoir et enchanter. Un long-métrage prometteur et imparfait qui mérite certainement l’attention et le détour, ne serait-ce que pour la lucidité (mais aussi la certaine naïveté) de ses ambitions.
7/10
Sur la terre comme au ciel est encore présenté dans le cadre du festival Cinémania le samedi 11 novembre à 11 h, au Cinéma Moderne. Il faudra ensuite attendre sa sortie en salles prévue pour avril 2024, via Axia Films.