Les éditeurs de livres sont montés aux barricades – et ont intenté de nombreuses poursuites – il y a près de deux décennies, lorsque le projet Google Books a numérisé et librement distribué plus de 25 millions d’ouvrages. Ces éditeurs avaient affirmé que la distribution numérique gratuite sapait le marché des livres papiers, mais une nouvelle étude de l’Université Cornell révèle l’opposé, soit qu’une demande accrue pour les livres physiques, via leur découverte en ligne, peut être possible.
L’autrice principale de l’étude, Imke Reimers, en compagnie d’autres chercheurs, s’est intéressée à l’impact de l’effort de numérisation de livres par Google sur les ventes d’exemplaires physiques.
Leur étude est parue dans American Economic Journal: Economic Policy.
Parmi les conclusions des travaux, on constate que la numérisation des livres peut faire croître les ventes dans une proportion pouvant atteindre 8 % en stimulant la demande via la découverte des recommandations en ligne. Cette croissance des ventes s’est avérée plus importante pour les livres moins populaires, et s’étend même aux oeuvres non numérisée d’un auteur dont d’autres livres ont été transposés en zéros et en uns.
« C’est toujours la question des éditeurs, évidemment, qui sont mécontents du fait que les gens rendent gratuitement disponibles des oeuvres protégées par copyright », mentionne Mme Reimers.
« Pour nous, il n’est pas clairement évident que la numérisation va nuire aux ventes, parce que cela permet de prendre connaissance de l’existence de livres non numérisés », a-t-elle ajouté.
Le projet Google Books, lancé en 2005, a numérisé des millions de livres, et rendu le texte de ceux-ci accessible à la recherche via une technologie de reconnaissance de caractères. Cela permet aux utilisateurs d’effectuer des recherches dans un important volume de documents en fonction d’un sujet ou d’un thème spécifique.
« Disons que vous cherchez le terme « photosynthèse » sur Google », poursuit Mme Reimers. « Vous pourriez trouver un extrait provenant d’un livre spécifique que vous pourriez vouloir acheter, parce que vous le voyez sur la page des résultats et vous décidez que c’est un ouvrage utile. »
Mme Reimers et ses collègues se sont concentrés sur un ensemble spécifique d’ouvrages numérisés par Google, ceux de la bibliothèque Widener de l’Université Harvard, qui ont aidé à lancer le projet, à ses débuts. Les démarches ont pu être entamées en raison du fait que l’effort de numérisation d’Harvard ne comprenait que des oeuvres ne se trouvant plus sous copyright, c’est-à-dire des livres publiés avant 1923, et qui ont donc été rendus accessibles dans leur intégralité.
Les chercheurs se sont ainsi penchés sur un total de 37 743 livres numérisés entre 2005 et 2009; en analysant les ventes pendant les deux années précédant la numérisation, ainsi que les deux années qui ont suivi, il a été possible de détecter d’importantes différences dans les probabilités d’augmentation des ventes, entre les cohortes numérisées et celles qui ne l’étaient pas.
Ainsi, environ 40 % des livres numérisés ont connu une croissance des ventes entre 2003-2004 et 2010-2011, comparativement à moins de 20 % pour les titres seulement disponibles en papier.
De l’avis même de Mme Reimers, ces résultats sont un peu surprenants.
« Nous ne nous attendions pas nécessairement à un effet positif sur les ventes », dit-elle. « Nous nous attendions à un impact favorable sur l’utilisation, puisque si un livre est disponible en ligne, les gens peuvent le trouver plus aisément et vont naturellement s’en servir davantage. Mais l’effet favorable pour les ventes n’était pas prévu. »
Toujours au dire de la chercheuse, « l’effet de découvrabilité », qui se transmet même aux livres non numérisés d’un auteur dont d’autres textes sont accessibles en ligne, est l’un des principaux facteurs alimentant la hausse des ventes. « Ce n’est pas une très forte augmentation des ventes, mais c’est malgré tout une bonne nouvelle pour les éditeurs », juge-t-elle.
Et les amoureux des livres, ajoute-t-elle, sont connus pour leur propension envers les copies physiques, à l’opposé des versions numériques, qui peuvent aussi jouer un rôle. « Lorsque je parle aux gens de mes travaux de recherche sur les livres, mentionne la scientifique, à un moment donné, tout le monde me dit aimer la sensation d’un livre dans des mains. »