Le duo formé d’Alexis Martin et de Daniel Brière, dont la complicité est toujours très fertile (même après des années de collaboration) et qui confie avoir encore plein de projets et d’expériences à partager (ça promet), nous propose une œuvre qui émane d’un rêve porté par Alexis Martin depuis longtemps : une création autour de la pensée de deux artistes français majeurs, l’écrivain Georges Bataille et le peintre André Masson.
Le point de départ des codirecteurs artistiques du Nouveau Théâtre Expérimental : un texte de Georges Bataille, nommément La conjuration sacrée, et illustré par André Masson, texte duquel Martin a extirpé des bribes pour créer l’histoire de la pièce, Une conjuration. Ok, mais qu’est-ce qu’on retient? Comment développe-t-on les scènes, l’histoire? Quel ton emploie-t-on? Le duo n’a pas lésiné et s’est donné toutes les libertés, notamment celles de basculer dans les modes narratifs, les époques, la langue, les techniques pour échafauder sa création qui porte essentiellement sur la critique du capitalisme (en général) et sur le monde du travail (en particulier). Grosso modo.
Bref, la pièce s’amorce avec une « entrée en matière » où les interprètes (Maxim Gaudette, Catherine De Léan et Alexis Martin, tous excellents) discutent de la création. Plantés dans un habile décor – un atelier d’artiste au centre et les spectateurs tout autour – le trio nous prépare. Puis les personnages émergent, vivent, existent, parlementent et créent. En curieux témoins, on assiste à la construction de l’œuvre – depuis les premiers balbutiements, les échanges animés, angoissés, angoissants, les peurs, les pleurs, les rire et les délires…jusqu’à la naissance, ultime aboutissement. Mais l’accouchement ne se fait pas sans labeur, le chemin étant souvent sinueux, nébuleux et surtout douloureux.
Processus intéressant : le récit bascule de la rencontre entre Bataille et Masson à des scènes contemporaines ou mythologiques auxquelles se greffe Catherine De Léan, tantôt en employée en burn-out d’une boîte de télécoms ou en fonctionnaire du régime nazi chargée d’évaluer le patrimoine artistique, mais surtout d’en juger l’utilité.
Mais, si on revenait à la création, au nœud. Dans l’atelier du peintre, ça discute fort… andouillettes et bon vin accompagnant les multiples débats. Les comparses Bataille (Martin) et Masson (Gaudette) ont la langue longue, très longue. Les mots se bousculent puis agonisent. Les pensées naissent puis s’usent. Les masques tombent. Les crânes se « débourrent ». Leur pamphlet sera nul doute très touffu et surtout virulent. Ils écorchent sans vergogne le monde du travail qui produit des esclaves à l’haleine de plâtre, dévorés par des processus, excédés de servir la raison. « Il faut réapprendre à perdre la tête », clament-ils.
Les amis s’intéressent à l’utile (y renoncer) et à l’inutile (l’épouser), à l’art qui vend par opposition à celui qui permet d’être soi ou quelqu’un d’autre à la fois, si besoin. Ils se penchent longuement sur la mort et l’insupportable pensée que tout ne tient qu’à un fil, une mort que Bataille voudrait plus « affectueuse », à mille lieues de celle, violente, provoquée par la guerre. Une mort qui rend vivant. Ils évoquent le sacré, celui qui attire et qui répugne à la fois. Entre autres…
Oui, entre autres, car les artistes discutent longuement et nous offrent tout. Et c’est en les laissant s’exprimer qu’ils ont trouvé ce qui était au-delà d’eux-mêmes, qu’ils ont été plus qu’eux-mêmes et qu’ils ont vaincu le processus. Voilà, c’est fait. Vous l’avez créée, votre pièce.