Une publicité surgit sur un de nos écrans après qu’on ait mentionné un intérêt pour un produit? Plusieurs sont convaincus que leur téléphone les écoute. Est-ce plausible, a demandé le Détecteur de rumeurs ? Peut-être pas de la façon dont on l’imagine.
1. Énergivore
À la base, espionner un usager via le micro du téléphone est possible. Une récente loi française autorise d’ailleurs les services de police à activer à distance le micro (entre autres) d’un téléphone portable dans le cadre d’enquêtes relevant du terrorisme ou du crime organisé.
Mais espionner l’ensemble des usagers 24 heures sur 24 par l’intermédiaire du micro du téléphone serait extrêmement peu efficace : ce serait une énorme dépense d’énergie, en plus de nécessiter beaucoup d’espace de données, même si des avancées technologiques récentes permettent aux applications de transcrire la parole dans un format texte (ce qui prendrait moins d’espace disque).
Par ailleurs, un téléphone qui serait 100 % du temps à l’écoute verrait sa batterie fortement sollicitée et consommerait beaucoup de données, ce qui mettrait la puce à l’oreille de son propriétaire…
2. Des assistants vocaux à l’écoute
Avec les assistants vocaux comme Siri ou Google, nos téléphones sont en mode « écoute » pour capter les mots clés capables de les « réveiller ». Mais cette option peut être désactivée par l’usager.
En 2021, des chercheurs et des journalistes allemands ont voulu vérifier s’il était techniquement possible de créer une application qui nous écouterait à notre insu. Ils ont constaté qu’ils pouvaient continuer à enregistrer via le microphone au-delà de l’autorisation que l’utilisateur lui avait donné : lorsque l’application était en arrière-plan, ou lorsque le téléphone était éteint, mais que l’application n’avait pas été fermée. Toutefois, les versions récentes de téléphones Android et iPhone notifient leurs usagers par un petit point orangé ou vert dans le coin droit de l’appareil, lorsque le microphone est actif.
Par ailleurs, le Daily Mail a tenté une expérience en 2023. Utilisant un téléphone Samsung neuf, le journaliste a mentionné durant deux jours plusieurs mots-clés près de l’appareil (sans utiliser l’assistant vocal et sans les écrire), tentant d’influencer les publicités qui y apparaîtraient. Il n’a pas eu de succès.
3. Le téléphone écoute… les autres appareils
À défaut de nous écouter, on sait par contre, et depuis longtemps, que les appareils électroniques sont à l’affut d’ultrasons pour mieux envoyer de la publicité. Des publicités télévisées contenant des ultrasons, donc des sons inaudibles pour l’oreille humaine, peuvent être captées par le cellulaire, la tablette ou l’ordinateur, pour faire « remonter » une publicité de la même compagnie.
En 2017, deux chercheurs allemands avaient identifié 234 applications sur Android utilisant ce genre de technologie, et la Federal Trade Commission aux États-Unis avait enjoint aux développeurs de cesser d’utiliser la technologie SilverPush.
4. Des rumeurs mais pas de preuves
La BBC rapportait en 2019 que la firme de sécurité informatique Wandera avait voulu tester si les téléphones utilisaient le micro pour proposer des publicités ciblées : elle a conclu qu’il n’en était rien. Une recension de la recherche par des chercheurs allemands publiée en 2019 a conclu que malgré des efforts de recherche importants menés au fil des années, aucune preuve n’avait confirmé la rumeur selon laquelle les téléphones nous écoutaient secrètement pour nous proposer des publicités ciblées.
5. Il y a des moyens plus efficaces d’en savoir plus sur nous
Comme le résumait le journaliste Jean-François Cliche en 2021, les fabricants et développeurs d’applications auraient la capacité technologique de nous écouter. Mais ils n’ont pas besoin de le faire : ils en savent beaucoup plus sur nous qu’on ne l’imagine.
Chaque recherche sur le web que l’on fait, chaque page consultée, chaque vidéo regardée sur YouTube ou sur TikTok, toutes les données de géolocalisation, les échanges via messagerie, les publications sur les réseaux sociaux, en plus des contenus que nous y avons partagés, commentés ou « aimés », constituent des quantités d’informations que nous donnons volontairement aux géants de la technologie et qui, au final, en disent beaucoup plus sur nous que des conversations téléphoniques aléatoires.
C’est sans compter les échanges entre plateformes : les réseaux sociaux peuvent ainsi acheter, à notre insu, des informations de sources externes, permettant de savoir notre état civil, si nous avons déjà été impliqué dans une poursuite en justice, ou encore les informations récoltées grâce aux programmes de fidélisation dans les commerces.
En 2018, des chercheurs ont testé plus de 17 000 applications sur Android et ont constaté que certaines prenaient des captures d’écran ou des vidéos des actions des usagers et les envoyaient à une tierce partie… Ironiquement, ces chercheurs voulaient plutôt tester si les applications enregistraient les conversations (ils n’ont rien trouvé de ce genre).
Les technologies employées par Facebook pour les publicités ciblées pourraient aussi être qualifiées d’invasives: grâce à Meta Pixel (anciennement Facebook Pixel), le réseau social suit l’activité de ses usagers sur des millions de sites web pour adapter sa publicité (en voyant par exemple que nous nous attardons sur certaines pages, que nous faisons un achat, etc.). Facebook peut en outre détecter que nous sommes physiquement avec un ami qui a tel ou tel intérêt, et proposer ensuite des publicités en lien avec ces mêmes choses, en déduisant que ce qui intéresse notre ami, nous intéresse aussi.
6. L’illusion de la fréquence
Il se peut aussi que cette impression d’un lien entre quelque chose qu’on a dit et une publicité qui apparaît ensuite, soit simplement le résultat de ce qu’on appelle l’illusion de la fréquence. Aussi appelé le phénomène Baader-Meinhof, cela se produit par exemple lorsqu’on entend un nouveau mot, et qu’on a par la suite l’impression de le voir partout: notre cerveau le remarque davantage. De la même façon, dans une journée normale, sur l’ensemble de nos propos, nous remarquerons uniquement le mot qui a été suivi d’une coïncidence. Considérant tout ce que les GAFA savent de nous, il est peut-être inévitable que de telles coïncidences se produisent.