Les fausses images et les fausses vidéos autour du conflit Israël-Hamas abondent sur les réseaux sociaux. En ajoutant à cela un contexte politique et historique extrêmement complexe, il peut être tentant de baisser les bras et de conclure à l’impossibilité de distinguer le vrai du faux. Ce serait oublier qu’il existe une poignée de réflexes de base que quiconque devrait développer avant de partager une information, rappelle le Détecteur de rumeurs.
Depuis l’attaque terroriste du Hamas, survenue en Israël dans la matinée du 7 octobre, plusieurs des observateurs du phénomène de la désinformation le décrivent comme ayant pris une ampleur inédite. « Je fais de la vérification de faits sur Twitter depuis des années » écrivait, dans l’après-midi du 8 octobre, le journaliste spécialisé en désinformation de la BBC, Shayan Sardarizadeh. « Il y a toujours beaucoup de désinformation pendant des événements majeurs. Mais le déluge de faux messages dans les deux derniers jours, est quelque chose d’autre. »
Ce conflit offre, selon des experts interrogés le 10 octobre par l’Agence France-Presse, « une sombre étude de cas sur la diminution de la capacité des plus grandes plateformes », comme Facebook et X — anciennement Twitter — à combattre les fausses informations », depuis qu’elles ont mis à pied tout ou partie de leurs équipes qui traquaient les propos trompeurs ou haineux.
Qui plus est, il faut se garder de sauter trop vite aux conclusions, surtout quand une photo ou une vidéo provoque chez nous une forte émotion. « Les contenus les plus choquants sont ceux qui vont susciter le plus d’engagement » sur les réseaux sociaux, rappelait le 13 octobre la journaliste française Samira El Gadir. Et les désinformateurs peuvent jouer avec nos émotions, comme de nombreuses études l’ont souligné au fil des années.
1) Être patient
Certaines vérifications sont de toute façon au-delà de la portée du citoyen moyen et même d’observateurs avertis.
L’explosion près de l’hôpital Ahli Arab de Gaza, le 17 octobre, en est devenue une illustration: même le prestigieux New York Times est tombé dans le piège de la rapidité (une note de l’éditeur parue le 23 le reconnaît). Immédiatement après l’explosion —survenue en pleine nuit— son site titrait « Une attaque israélienne tue des centaines de personnes dans un hôpital, disent les Palestiniens », sur la base d’une seule source basée à Gaza. Quelques heures plus tard, devant les informations contradictoires qui s’accumulaient, la manchette devenait « Une explosion tue des centaines de personnes dans un hôpital de Gaza ». Le Wall Street Journal a quant à lui envoyé une notification erronée à ses abonnés. Amnesty International et MSF France ont commis la même erreur pendant la nuit.
Dans la matinée, à la lueur du jour, les premières photos du stationnement de l’hôpital ont montré une trace d’impact qui ne collait pas à la théorie d’un missile. Dans les 72 heures qui ont suivi, les experts en analyse d’images, en photos satellites et en géolocalisation, ont petit à petit rassemblé des pièces du casse-tête qui suggéraient plutôt une roquette lancée depuis Gaza et qui aurait raté son décollage.
Si, au moment d’écrire ces lignes, on ne peut pas pointer un coupable de façon définitive, il est certain que la première conclusion, pendant la nuit, était trop hâtive, en l’absence de toute donnée probante.
Le journaliste britannique John Burn-Murdoch, spécialisé dans le journalisme de données, vantait le 18 octobre la « prolifération », ces dernières années, de nouvelles techniques d’analyse d’images et d’enquêtes utilisant des bases de données publiques (« renseignement de source ouverte » ou Open Source Intelligence – OSINT). Ces techniques, ajoutait-il, commencent à faire une différence pour dégager le vrai du faux dans des affaires comme celle de l’hôpital Ahli Arab de Gaza.
Même si peu de médias les utilisent pour l’instant, certains, comme son journal, le Financial Times de Londres, ou le Washington Post, ont des équipes dédiées à l’OSINT.
Mais même pour les médias capables d’y mettre des ressources humaines, il s’agit de recherches qui nécessitent des jours de travail. « Laissez du temps aux enquêtes », conclut le journaliste de France Info Julien Pain, en déplorant le « déluge d’intox » autour de cette explosion.
2) Chercher une deuxième source
Reste que toutes les informations ne sont pas aussi difficiles à vérifier. Parfois, il suffit de chercher une deuxième source pour comprendre tout de suite que quelque chose cloche dans le message qu’on nous fait suivre sur un réseau social.
Et cette deuxième source peut souvent être un média: plus l’événement est grave, surprenant, ou choquant, et plus nombreux seront les médias qui en parleront. De sorte que si quelques heures ou quelques jours se sont écoulés, on peut faire une recherche Google avec des mots clés pertinents.
Par exemple, les mots clés « enfants cages Israël Hamas »: parce que suffisamment de temps s’est écoulé depuis le 8 octobre, moment où a commencé à circuler cette vidéo virale, on peut désormais trouver des médias qui ont fait le travail de vérification. Il s’agit d’une vidéo dont les uns disaient qu’il s’agissait d’enfants israéliens mis en cage par le Hamas, et les autres, des enfants palestiniens emprisonnés par l’armée israélienne. Ce qu’on sait aujourd’hui, c’est qu’il s’agissait d’un parent qui, sur TikTok, avant l’actuel conflit, avait filmé ses propres enfants pour les amuser. Comme la vidéo avait été effacée, il a fallu trois jours à plusieurs médias, dans différents pays, pour retrouver le document original et son auteur.
Parmi les autres exemples pour lesquels il était légitime d’attendre avant de partager, et pour lesquels une recherche par mot clé permet aujourd’hui de trouver une deuxième source :
- Des extraits de jeux vidéo ont circulé pour prétendre montrer des tirs de missiles. La BBC, Le Monde et d’autres en ont déboulonné quelques-uns.
- Une vidéo d’une Palestinienne maquillant de « faux sang » une autre femme est en réalité un extrait d’un reportage de 2017 de la télévision turque consacré à une artiste du maquillage.
- Un reportage de la BBC qui aurait prétendu que l’Ukraine avait livré des armes au Hamas n’était pas un reportage de la BBC.
Les mèmes sont de ces cas où la recherche d’une deuxième source est parfois à la portée du simple citoyen. Ainsi, un mème montrant 10 hauts-fonctionnaires américains, chacun avec un drapeau israélien à côté de sa photo, voulait suggérer qu’ils avaient tous la nationalité israélienne. Cette image a été vue 8 millions de fois le 20 octobre. Dans ce cas-ci, « chercher une deuxième source » pouvait simplement consister à googler les biographies de certaines de ces personnalités. On s’aperçoit rapidement qu’aucune n’a la nationalité israélienne.
Enfin, un soi-disant reportage qui prétendait avoir analysé des photos de faux corps d’Israéliens brûlés, est à cheval entre ce qui peut être facilement vérifié et ce qui ouvre la porte à une enquête plus compliquée. Diffusé le 21 octobre sur X / Twitter et sur d’autres plateformes, il se présentait comme étant un reportage du journal français Le Figaro. Il suffit d’aller sur le site du journal pour confirmer que ce n’est pas un reportage du Figaro.
Mais des experts en vérification et en analyse des données sont allés plus loin: ils ont établi que les premiers comptes Twitter qui ont partagé ce document frauduleux étaient des robots, peut-être russes; qu’ils étaient tous associés au tout premier expéditeur, un compte anonyme créé quelques jours plus tôt et qui avait, en tout et pour tout, trois abonnés. Tout cela fait soupçonner une opération de désinformation orchestrée à l’avance.
3) Vérifier la source
Certains des exemples qui précèdent pouvaient mettre la puce à l’oreille dès qu’on vérifiait la source. Tous les journalistes commencent toujours par cette étape, et c’est un réflexe que tout le monde devrait développer.
a) Vérifier l’auteur
Par exemple, le compte qui a publié la photo, la vidéo, le mème ou le texte, est-il celui d’un individu connu, d’un organisme crédible, d’une institution? Parfois, cette question peut trouver réponse en quelques secondes, en cliquant sur l’onglet « À propos de nous » (About us). Parfois, une recherche Google ou Wikipédia avec le nom de la source permet tout de suite d’apprendre qu’il s’agit d’un compte réputé pour diffuser des faussetés, voire des contenus complotistes ou d’extrême droite, comme les sites web américain InfoWars ou canadien Rebel News ou comme les comptes associés au média d’État Russia Today.
C’est ainsi que, le 17 octobre, une vidéo montrant soi-disant un affrontement, à Barcelone, entre des manifestants pro-palestiniens et la police, a été d’abord diffusée par un compte de Russia Today. Ça pouvait tout de suite créer un doute.
Depuis, l’Agence France-Presse a démontré que cette vidéo était bel et bien celle d’une manifestation à Barcelone, mais contre les restrictions sanitaires, en 2020.
Le 7 octobre, un soi-disant mémo de la Maison-Blanche a circulé, prétendant que le président Joe Biden avait accordé, quelques heures après l’attentat terroriste, une aide de 8 milliards $ à Israël. L’info ayant été partagée par de nombreuses personnes sur Twitter, il peut être impossible de retrouver l’expéditeur original en seulement quelques minutes. Sauf que si ce mémo existe vraiment, on devrait le trouver sur le site de la Maison-Blanche. Il suffit dès lors de faire une recherche, sur ce site ou par Google, avec une phrase extraite du document en question: on trouvera tout de suite le mémo, qui existe bel et bien… sauf qu’il concerne l’Ukraine, qu’il remonte à l’été dernier et qu’il fait état de 400 millions$.
b) Vérifier l’image
Toujours dans l’idée de vérifier la source, ce qu’on appelle la recherche d’image inversée peut révéler en quelques secondes si une image est vraiment liée aux derniers événements.
Pour une photo, cela consiste, sur l’écran de l’ordinateur, à faire glisser cette photo vers la fenêtre de recherche de Google Images. Si quelqu’un a voulu faire croire qu’il s’agissait d’une photo prise ces derniers jours et que Google la trouve sur des pages vieilles de plusieurs mois, on est fixé. Sur le téléphone, la manoeuvre est différente (voir encadré).
Avec les vidéos, la même vérification peut toutefois être plus difficile. On peut prendre plusieurs captures d’écran, à différents moments de la vidéo, et les passer une par une dans Google Images, mais sans garantie de résultat. Ça a fonctionné pour l’Agence France-Presse avec la vidéo de Barcelone mentionnée plus haut. Dans d’autres cas, les journalistes qui ont réussi à démontrer que certaines de ces vidéos n’étaient pas ce qu’elles prétendaient être, ont dû passer en revue des sites web ou des forums Reddit, ou consulter des collègues de l’étranger, parce qu’un petit indice dans une partie de la vidéo semblait conduire vers un pays, une ville ou un quartier.
Davantage à la portée du simple citoyen: la vérification d’une vidéo, vue 2 millions de fois sur X, qui prétendait montrer des militaires israéliens « en train de filmer des fausses images de morts sur la route ». Quelques captures d’écran passées dans Google Images ont rapidement conduit à ce qui était en réalité un court métrage palestinien de 2022, Empty Place.
La recherche d’image inversée est d’autant plus importante en 2023 que l’expérience montre qu’un très grand nombre des photos ou des vidéos « choquantes » qui circulent à la suite d’un événement grave proviennent d’événements passés. Ce fut le cas en février 2023 après le séisme en Turquie. Ce fut aussi le cas avec la guerre en Ukraine, rappelait Shayan Sardarizadeh le 12 octobre. « Dans les deux premiers mois, il y avait un déluge de désinformation en ligne et beaucoup de vieilles vidéos. C’est définitivement la catégorie numéro un. »
Conclusion
Toutes les vérifications ne sont pas faciles, et il faut parfois mettre ses émotions de côté pour laisser le temps aux professionnels de la vérification de faire leur travail. Mais l’avantage de faire soi-même des vérifications élémentaires — vérifier la source, chercher une deuxième source — c’est que cela permet de ralentir la dissémination de désinformation. Cela peut même permettre de partager les textes de vérification qu’on a trouvés, pour contrer, à notre échelle, les stratégies des désinformateurs.