Remarquable de richesse et d’intelligence, avec une pointe non négligeable d’humour, pour cette pièce Docteure proposée au théâtre Jean-Duceppe. Du grand théâtre; une très belle mise en scène, des décors astucieux et des éclairages réussis. Des acteurs (pas moins de 11, hommes et femmes) tous impeccables. Une histoire simple, à l’origine, mais qui se complexifie à mesure que l’action progresse. Par l’intrigue qui s’enracine dans le milieu médical, on est amenés à réfléchir à de multiples aspects désolants de la société contemporaine qui nous entoure.
La Docteure Wolff, une femme efficace et énergique comme on ne peut que l’être à la tête d’un brillant institut de recherche sur la démence, admet dans son service une adolescente en très mauvaise santé après un avortement non supervisé.
La jeune fille a un diagnostic pessimiste. Elle va sans doute mourir, mais elle est toujours consciente et encore bien vivante. Un prêtre dépêché par ses parents absents veut lui administrer l’extrême-onction, à savoir la confession de ses péchés et en particulier celui de son avortement, avant d’être admise dans l’au-delà. Rachelle Wolff s’y oppose. Elle est la seule responsable de sa malade. La jeune fille n’a pas émis le désir de rencontrer ce ministre du culte, car en plus, elle est loin d’imaginer qu’à son âge, elle pourrait déjà mourir.
C’est cette obstruction du religieux dans le monde de cette professionnelle de la santé qui figure déjà dans la pièce de théâtre d’Arthur Schnitzler, Professor Bernhardi, jouée en 1912 et qui avait fait scandale dans l’Empire austro-hongrois de l’époque. Docteure est inspirée de cette pièce.
Traduite par Fanny Britt sur le texte du britannique Robert Icke, la pièce Docteure est totalement en phase avec notre époque et traite d’une multitude d’aspects qui concernent non seulement le monde médical et celui de la religion, mais aussi les questions de pouvoir, de compromission, d’identité, de racisme, d’antisémitisme, de féminisme, de wokisme, de questions de genre, le tout hautement exacerbé par l’intervention des réseaux sociaux et leurs si efficaces processus de lynchages médiatiques.
La pièce pousse à de multiples réflexions. Et cela fait du bien dans un monde où – et la pièce le dénonce aussi – on agit avant de réfléchir, quand toutefois on réfléchit…
Le rôle-titre interprété par Pascale Montpetit révèle une personnalité très intéressante, une professionnelle consciencieuse et consciente de ses responsabilités, sensible, réfléchie et qui – cela fait un bien fou – ne s’adonne surtout pas à la langue de bois et au politiquement correct.
C’est sans doute ce qu’on lui reproche… Évidemment elle n’est pas parfaite, mais qui pourrait prétendre l’être? Et c’est ce qu’exploite à merveille la vindicte populaire qui se plait à condamner d’office et à faire ressortir les moindres failles qui ne sont en réalité que des sujets de débats contradictoires et intéressants. Mais les débats sont désormais impossibles. Chacun campe sur ses positions – de victime si possible – et accuse l’autre à tour de bras. Le bulldozer médiatique animé par la foule en liesse se met en marche et se plait à détruire, pour le simple plaisir d’affirmer son dérisoire pouvoir.
Docteure
Texte: Robert Icke
Une adaptation très libre de Professor Bernhardi, d’Arthur Schnitzler
Traduction: Fanny Britt
Mise en scène: Marie-Ève Milot
Interprétation: Alexandre Bergeron, Sofia Blondin, Alice Dorval, Nora Guerch, Ariel Ifergan, Tania Kontoyanni, Pascale Montpetit, Sharon James, Harry Standjofski, Elkahna Talbi, Yanic Truesdale
Docteure, du 18 octobre au 18 novembre 2023 au théâtre Jean-Duceppe, à Montréal