Le titre de l’oeuvre – L’espèce fabulatrice – est celui d’un ouvrage de la romancière Nancy Huston. Car la pièce de Michelle Parent s’appuie entre autres sur cette autrice et ses propos concernant notre humanité : nous sommes des êtres parlants et notre irrésistible besoin de donner du sens à tout, en plus du fait que nous savons que nous mourrons un jour, produit des discours tous azimuts, des narrations, des récits destinées à nous permettre de vivre et de survivre.
Dans un décor de jardin de tournesols sous serre, sept artistes, certains non professionnels, ont été sélectionnés pour avoir connu un effondrement personnel au cours de leur vie. Hommes, femmes, jeunes ou âgés… on ignore leurs histoires dont ils ne diront d’ailleurs pas un mot, mais ils alertent sur un autre danger qui menace notre planète (et donc les spectateurs de la salle), son réchauffement et les conséquences qui en résulteraient.
La mise en scène est agréable, drôle par moments. Au son de multiples extraits radiophoniques, Internet ou de conférences accompagnés de musiques, six des artistes s’adressent au public dans une chorégraphie bien orchestrée. Un fantôme silencieux rôde qui rappelle que la fin concerne tout un chacun et que tout le monde le sait.
J’ai trouvé l’ensemble un peu brouillon. Intéressant que les artistes dont on sait qu’ils ont connu un « effondrement » selon le mot cité dans le spectacle, se meuvent avec autant d’énergie. C’est l’aspect très positif que j’ai retenu du spectacle, car j’ai apprécié l’idée qu’à la suite de cet effondrement vécu, ces artistes avaient pu rebondir, passer outre, vivre ou revivre malgré tout, et leurs performances théâtrales en constituent la preuve et le témoignage. L’aspect écoanxiété, en revanche, m’a beaucoup moins convaincue.
Personnellement, je ne souffre pas d’anxiété climatique. Et je crois même que, comme le dit le proverbe, la peur est mauvaise conseillère… en particulier pour produire des récits convaincants. Alors ces prévisions apocalyptiques déclamées en vérités indiscutables, sous peine d’être banni de l’humanité, m’apparaissent toujours un peu suspectes par la forme qu’elles adoptent.
Il y a peu de doutes que nous produisons trop de déchets et de pollution et nous devons nous en soucier. Mais précisément, les discours totalitaires de certains activistes de cette cause sont pour moi bien plus effrayants que la cause pour laquelle ils militent. J’aime les débats contradictoires et celui qui a suivi la pièce admettait que certaines prédictions du passé récent ne s’étaient pas produites. Car il est toujours risqué de faire des prédictions.
Au 9e siècle, déjà, on prédisait une fin du monde pour l’an mille. Et ce qui me rend peut-être anxieuse, ce sont plutôt les combattants d’une vérité absolue et indiscutable qu’ils sont sûrs de détenir, et qui cherchent à l’imposer aux autres. Comme tous les prosélytismes, je m’en méfie au plus haut point.
L’espèce fabulatrice
Pirata Théâtre
Montage et écriture de plateau: Michelle Parent
Conception: Marie-Eve Fortier, Andréanne Deschênes, Michelle Parent
Distribution (réunissant plusieurs personnes qui ont en commun d’avoir vécu un effondrement): Alexa Dubé, Joseph Martin, Marie-Hélène Rinfret, Nicolas van Schendel, Clémence Léveillé, Gabrielle Bertrand Lehouillier et Sabri Attalah
L’espèce fabulatrice, du 17 au 28 octobre 2023 au théâtre aux Écuries, à Montréal