Film surprise du prolifique cinéaste Quentin Dupieux, mais aussi de la 52e édition du Festival du nouveau cinéma, Yannick affichait complet. Un complément logique à son succès également inespéré au box-office français. Tout le contraire de Le cocu, la pièce boboche fictive qui sert de point de départ pour son succulent bijou.
Pour beaucoup, il était le musicien Mr. Oizo, alors que pour d’autres, il est devenu l’homme derrière le film du pneu tueur (le fameux et génial Rubber). Par contre, bien qu’on lui doive bon nombre de projets absurdes et mémorables, incluant Steak, et qu’il s’est certainement fait un nom du côté du septième art, c’est peut-être en abordant finalement la réalité sans fard ni artifice que Quentin Dupieux aura livré son premier vrai film culte.
Cri du cœur d’un peuple qui bosse dur, mais épuisé qu’on n’en tienne pas compte, voilà un manifeste singulier aux nombreux degrés de lecture qui fera la joie des fans de la première heure du réalisateur. Comme toujours, au-delà de la simplicité de la prémisse, on y trouve un large terrain de jeu pour y déceler une multitude de clins d’œil et de réflexions sur l’art, oui, comme toujours, mais également sur la société. Plus frontal qu’à son habitude, il aborde comme il le fait toujours si bien le rapport pourtant essentiel, mais souvent écarté, entre les œuvres et leur public.
Plus court que jamais (à peine plus long qu’une heure, évoquant de plus en plus ses débuts avec son Nonfilm) et pourtant d’une concision que plusieurs ne capteront pas, rien n’est laissé au hasard ici dans ce vaudeville franc et direct où l’on donne la parole au gros bon sens qui ne trouve pourtant pas toujours son chemin.
C’est pourtant simple : Yannick en a marre. Il a pris une journée de congé dans le but de se changer les idées et tout le dérangement pour y parvenir ne trouve pas son dû, puisque la pièce de théâtre à laquelle il assiste est nulle. Il pourrait quitter, oui. Il pourrait aussi se faire rembourser. Sauf que Yannick veut prendre les choses en main.
De cet habile rapport de force entre les otages et de ceux responsables de leur captivité (n’est-ce pas après tout le principe de base d’une pièce de théâtre, ou même d’un film?) se construit un délire comme seul Dupieux en a le secret.
Les tours de passe-passe, il en a fait beaucoup par le passé; le réalisateur a également régulièrement déformé la réalité (l’un de ses films s’appelle après tout littéralement Réalité, et comment oublier les délires de Wrong ou Au poste!), mais ici, c’est la réalité qui nous surpasse et c’est tant mieux.
De l’incroyable croyable
Et si l’on doit beaucoup à la distribution, tout simplement impeccable jusqu’au personnage du technicien, c’est l’amour que porte le cinéaste à ses personnages qui triomphe de tout. Bien sûr, Pio Marmaï est aussi drôle qu’on le connaît dans ce rôle bourgeois d’acteur raté, alors que le sens de la répartie de Blanche Gardin sied magnifiquement l’ensemble. De plus, la dévotion de l’époustouflant Raphaël Quenard, une puissance qu’on voit heureusement de plus en plus sur les écrans, enflamme littéralement l’écran. Sauf que tout cet exercice serait vain si son auteur, réalisateur, monteur, producteur et directeur de la photographie (oui-oui, Dupieux est un véritable homme-orchestre) n’y croyait pas autant.
Sans jamais tomber dans la caricature, dans le ridicule ou même dans la parodie, l’œuvre se nourrit de justesse et de tendresse, suivant cette magnifique lancée sur laquelle l’indomptable créateur est parti présentement. De fait, bien qu’il n’ait jamais livré de mauvais film (c’est subjectif diront certains) et que la mélancolie n’a jamais été très loin dans ses créations, c’est depuis qu’il a commencé à se montrer profondément touchant qu’il nous bouleverse et nous hante encore davantage, à raison d’une fois par an depuis plus de cinq ans maintenant.
On repense encore aux fins de Le Daim, Mandibules, Fumer fait tousser ou plus précisément celle tout simplement sublime d’Incroyable mais vrai et celle de Yannick viendra certainement s’ajouter au lot.
On succombe à ces jeux de réflexions, à découvrir les désirs habituellement inassouvis des invisibles (pourquoi un simple nobody ne pourrait pas créer, lui aussi?) et au plaisir tout simple de se donner du pouvoir, le temps d’un instant, que ce soit celui de plaire, d’amuser, qu’importe. Le tout est ici savamment agrémenté des mélodies aux piano de Emahoy Tsegué-Maryam Guèbrou, artiste du peuple, un autre choix qui n’est certainement pas anodin.
À travers ce film tourné en secret et chronologiquement, en moins d’une semaine, se dévoile ainsi à nous et en nous une véritable pépite d’or qui nous divertit, fort heureusement, mais qui ne nous quitte plus une fois le visionnement terminé.
Pas de doute, Yannick aurait adoré Yannick. Chapeau.
8/10
Yannick devrait prendre l’affiche le 5 janvier prochain via Les Films Opale.
À noter que comme c’était le cas en France, lors de son premier week-end, le film devrait techniquement être gratuit pour tous les gens portant le prénom « Yannick ».