Les changements climatiques affectent des communautés un peu partout sur la planète, mais la Floride, aux États-Unis, semblent souvent être à l’avant-plan de ces transformations. Selon une nouvelle étude, des chercheurs affirment que ces catastrophes ont un impact croissant sur les revenus fiscaux des villes, qui s’appuient largement sur les taxes foncières, empêchant peu à peu ces municipalités de payer les coûts de l’adaptation climatique.
Selon ce que rappellent les chercheurs, originaires des Universités Cornell et d’État de la Floride, en septembre de l’an dernier, l’ouragan Ian a ravagé le sud-ouest de la Floride, tuant au moins 156 personnes et entraînant au moins 113 milliards de dollars américains en dégâts. Puis, l’ouragan Idalia a frappé la région floridienne appelée Panhandle, en septembre de cette année, en plus d’une superlune qui a aussi augmenté la force des inondations liées aux marées, dans le sud-est de l’État.
Les communautés peuvent s’adapter à certains de ces effets, ou au moins gagner du temps, écrivent les spécialistes, en adoptant certaines politiques, comme le fait de moderniser les systèmes de gestion des eaux de tempêtes, en plus de surélever les routes et les trottoirs. Mais les catastrophes climatiques et l’augmentation du niveau de la mer nuisent aussi aux gouvernements, sur le plan fiscal, en faisant croître les coûts et en réduisant la base fiscale des villes.
Pire encore, cette dépendance envers les taxes foncières pourrait décourager les gouvernements locaux de cesser les développements immobiliers dans les zones inondables, ce qui, affirme-t-on, est essentiel pour réduire les risques à long terme.
Dans le cadre de leur étude, les chercheurs ont constaté que plus de la moitié des 410 villes de Floride seraient affectées par une hausse du niveau de la mer de l’ordre d’environ deux mètres. Près de 30 % de tous les revenus locaux de ces 211 municipalités proviennent de bâtiments construits dans des zones qui seront très largement inondées, potentiellement d’ici la fin du siècle. Malgré tout, affirme-t-on, les planificateurs urbains et les élus ignorent largement à quel point la crise climatique affectera la santé fiscale à l’échelle municipale. Pire encore, indiquent les auteurs de l’étude, certaines des communautés les plus à risques sont parmi celles qui en font le moins pour se préparer.
Le piège des taxes foncières
Si les taxes foncières représentent 30 % des revenus des villes, aux États-Unis, en plus d’être le levier fiscal sur lequel les municipalités ont le plus de contrôle, c’est aussi une source d’argent qui est directement menacée par les catastrophes climatiques.
Avec le réchauffement des océans, les ouragans sont plus féroces et se rendent plus loin à l’intérieur des terres ou le long des côtes. La crise climatique fait aussi augmenter le niveau des mers, ce qui fait augmenter les inondations côtières pendant les tempêtes et les marées hautes. Contrairement aux tempêtes, les hausses du niveau des océans ne s’inversent pas; il s’agit de la menace d’une inondation permanente des terres côtières, avec le temps qui passe, mentionnent les auteurs des travaux.
Sans compter les impacts physiques de la crise, la valeur foncière des propriétés à risque peut diminuer en raison d’un déclassement des marchés immobiliers, ou encore d’une hausse marquée des frais d’assurance, quand les compagnies ne refusent pas carrément d’assurer ces propriétés trop souvent menacées par les éléments. Ce phénomène prend d’ailleurs déjà de l’ampleur. Et dans ce cas, difficile, voire impossible de vendre son domicile pour s’établir ailleurs: qui voudrait acheter une maison qui pourrait être emportée par l’océan déchaîné ou rendue inhabitable?
Et ces mêmes impacts climatiques font monter la facture des services publics, comme l’eau courante, les égouts et l’entretien des routes. Par exemple, lit-on dans l’étude, la chaleur fait gondoler la chaussée, les inondations emportent les infrastructures, et les très fortes pluies poussent les réseaux d’égout à leur limite.
« Si les villes ne s’adaptent pas, l’accroissement des dégâts provoqués par les catastrophes climatiques et l’augmentation du niveau de la mer créeront un cycle fiscal vicieux, en sapant la base fiscale et en faisant bondir le coût des services, ce qui, à son tour, laissera encore moins d’argent disponible pour l’adaptation », écrivent les chercheurs.
Cependant, si les villes réduisent le développement dans les zones à risque, leurs taxes foncières et d’autres revenus seront réduits. Et s’ils construisent davantage de murailles côtières et de maison blindées pour résister aux ouragans et aux tempêtes, cela poussera plus de gens à vivre dans des endroits dangereux, ajoutent-ils.
Les revenus locaux à risque
Toujours selon les chercheurs, en vertu du scénario examiné, des inondations pourraient toucher des propriétés possédant une valeur combinée de 619 milliards de dollars US, et qui génèrent des taxes foncières de l’ordre de 2,36 milliards par an. Cinq millions de Floridiens vivent dans des villes où au moins 10 % des revenus locaux proviennent de zones à risque élevé d’inondations chroniques et permanentes. Pire encore, pour 64 villes examinées, 50 % de leurs revenus proviennent de telles zones.
Et de l’avis des auteurs de l’étude, les véritables effets fiscaux seraient probablement pires, après avoir tenu compte d’autres revenus perdus, de la hausse des dépenses et des impacts de nombreux dangers climatiques, comme une température plus chaude et des ouragans plus intenses.
Ces impacts ne sont d’ailleurs pas répartis de façon équitable sur le territoire de cet État du sud des États-Unis. Les villes les plus à risque, sur le plan fiscal, sont plus petites, plus denses, plus riches et plus blanches. À l’inverse, les villes les moins à risque sont plus peuplées, plus diversifiées, aux revenus plus faibles et au territoire plus vaste.
La tête dans le sable
De l’avis des chercheurs, leurs conclusions « sont un appel aux gouvernements locaux et étatique ».
« Sans action urgente pour s’adapter à la crise climatique, des dizaines de municipalités pourraient se retrouver dans le rouge », affirment-ils.
Pourtant, plusieurs villes de Floride poursuivent des programmes de croissance via une expansion de leur infrastructure. Même après des événements dévastateurs comme l’ouragan Iran, les limites administratives, les obligations en matière de services publics et les responsabilités budgétaires viennent compliquer la tâche des leaders municipaux pour que ceux-ci puissent faire une place pour l’eau, ou permettre aux citoyens de se relocaliser sur des terres surélevées, lit-on dans l’étude.
Les scientifiques estiment que si la tendance à favoriser la croissance et l’expansion se poursuit dans les villes côtières menacées, les régions davantage situées à l’intérieur des terres, ainsi qu’en hauteur, comme St. Petersburg, Tampa et Miami, attireront davantage de développements plus résistants et de meilleure qualité, alors que les résidents à faibles revenus et membres des minorités ethniques devront soit quitter la région, ou vers les régions côtières dont les ressources sont déjà en déclin.
« Nous ne considérons pas ce résultat comme étant inévitable, en Floride comme ailleurs. Les villes ont des options pour gérer leurs territoires afin de promouvoir des méthodes fiscalement justes, équitables et durables, afin de s’adapter aux changements climatiques. La clé consiste à reconnaître le piège fiscal et à s’y attaquer », affirment les spécialistes.
Parmi les solutions, on suggère de diversifier les sources de revenus pour les villes, comme des taxes sur la consommation, sur les locaux inoccupés, ou encore des frais associés aux impacts des tempêtes.
Les petites villes sont aussi appelées à faire cause commune et à partager les revenus fiscaux, histoire de réduire les développements dans les zones à risque, tout en continuant d’assurer les services pour leurs résidents.
« S’éloigner du modèle de développement traditionnel ne sera pas facile, mais notre étude démontre que la Floride, avec son territoire plat et ses milliers de kilomètres de côtes, est menacée par des impacts fiscaux en cascade si l’État poursuit sur sa voie actuelle », concluent les chercheurs.