Bizarrement monté, Priscilla renoue avec les thématiques chères à la cinéaste Sofia Coppola, mais avec une retenue, voire une pudeur qu’on ne lui connaissait pas. Voilà donc une proposition soignée, mais qui, à l’image de son sujet d’intérêt, semble seulement être l’ombre de ce qu’elle aurait pu être.
Personne ne filme la solitude et l’ennui comme Coppola (la fille, pas le père) et il faut une certaine naïveté pour penser que l’esprit derrière des œuvres comme Lost in Translation, Somewhere et The Virgin Suicides traiterait la vie de Priscilla Presley comme un biopic conventionnel.
Certes, le classicisme est de mise. Narrativement parlant, la cinéaste a toujours bien aimé respecter ce qui est chronologique et ne s’est jamais montrée très friande à l’idée de déconstruire ou de s’éclater dans ses structures. Ce désir en fait encore foi ici alors qu’elle adapte assez sagement la biographie littéraire Elvis and Me co-écrit par Priscilla elle-même et Sandra Harmon.
Assez rapidement d’ailleurs, on comprend pourquoi le sujet est tombé dans l’œil de la réalisatrice, puisqu’on retrouve beaucoup de ce qui avait fait la singularité de Marie Antoinette, soit, d’aborder le personnage comme d’une jeune fille perdue prise malgré elle dans un univers plus grand qu’elle.
À ce titre, le casting impeccable de Cailee Spaeny est admirable. Du haut de sa jeune vingtaine et de sa petite taille, elle réussit avec maestria à incarner l’innocence et la fragilité de cette jeune fille qui s’est un peu malgré elle jetée dans la gueule du loup. Le talent tout en nuances et en retenue de la jeune actrice aide également et, bien que la différence de taille avec son partenaire Jacob Elordi du haut de ses six pieds cinq en impose, elle n’en fait qu’une bouchée en termes d’interprétation lorsqu’on se lance dans les comparaisons.
Puisque voilà, bien qu’on puisse saluer cette décision d’avoir minimisé le réflexe habituel de tomber dans la caricature et/ou les reproductions des mimiques du King (n’en déplaise à l’intense performance de Austin Butler il y a un an, dans le Elvis de Baz Luhrmann), on se doute que Elordi a principalement été choisi suite à son inoubliable incarnation de Nate Jacobs dans la télésérie Euphoria, présence trouble et inquiétante d’une menace tranquille. Si on ajoute au lot un lip synch pénible dans les premières scènes (exercice qui n’aura heureusement pas de suite), il est simplement impossible de déceler Elvis dans cet acteur. Le sentiment est d’ailleurs encore plus ridiculisé à la vue de toutes ces reproductions, ces affiches et ces produits dérivés avec le visage de Elordi remanié.
De cire et de sons
Cela dit, on apprécie grandement l’audace de mettre en lumière les problèmes de la légende et pas nécessairement les plus évidentes ou attendues (bien qu’on mette grandement l’emphase sur les pilules), mais bien comme d’un partenaire toxique et manipulateur, possessif et contrôlant à ses heures. Coppola nous a après tout démontré à au moins deux reprises (The Bling Ring, The Beguiled) avoir certainement un talent pour donner dans le suspense. De constamment ramener sur le sujet l’imposant écart d’âge est aussi un choix osé, surtout en l’opposant à toute la sexualité dont on la pourtant privé.
C’est peut-être toutefois là où le film finit par poser problème. Produit en parti par Priscilla Presley, on a souvent l’impression que l’effort est constamment balisé par ses désirs et ce qu’elle veut bien représenter. Oui, cela sert certainement le point de vue qu’on imagine certainement très subjectif (on le voit venir au titre après tout), mais on sent également un certain retrait de la part de la cinéaste qu’on ne s’attendait pas à retrouver. Loin devant ses envolées anachroniques habituelles ou ses petits délires, on lui découvre beaucoup moins de liberté.
Avec beaucoup de fondus au noir à l’appui, l’ensemble finit un peu par ressembler comme d’une liste à cocher d’événements clés majoritairement présents pour ajouter au sentiment d’ostracisation de la protagoniste. Si certains passages sont tour à tour amusants, perturbants, frustrants et on en passe, on préférera davantage lorsque la cinéaste retournera dans son expertise à filmer l’errance, comme elle seule en a le secret. Sa manière de cadrer sa petite poupée de porcelaine dans l’immensité du manoir de Graceland est certainement glaçante et donne, comme prévu, une tout autre perspective à cette histoire où l’on a jusqu’à aujourd’hui surtout eu comme réflexe de victimiser Elvis, lui-même captif de sa propre prison et de ses propres démons.
On ne sait d’ailleurs pas sur quel pied danser pour le représenter, alors qu’on croit certainement à son charme magnétique, mais qu’on tient continuellement à rappeler que derrière l’ange se cachait aussi un petit démon. On lui accorde peut-être au final un peu trop de place dans le film, incluant un montage de performances à Vegas certainement superflu. La monteuse Sarah Flack accuse également un manque de précision et semble avoir de la misère à percer le ton voulu de chaque scène, ce qui n’a pourtant jamais vraiment été un problème par le passé, elle qui accompagne la cinéaste depuis des décennies déjà.
N’empêche, ces choix ambitieux pour aborder la légende de par sa part d’ombre pourraient expliquer pourquoi on n’a pas voulu accorder au projet les droits des chansons d’Elvis. Décision qui a permis à Sofia et son mari Thomas Mars (ainsi qu’à son groupe Phoenix), collaborateurs habituels de la réalisatrice, de redoubler d’inventivité musicalement, n’en déplaise à quelques choix par moment un peu prévisibles toutefois.
Priscilla est au final un film qui hante. Un biopic aux allures conventionnelles, mais qui parvient à sa manière à apporter une perspective inattendue à un sujet qu’on croyait connaître. Sauf qu’il s’agit aussi d’une œuvre qui aurait pu être encore plus imposante et plus fignolée.
7/10
Priscilla est présenté à nouveau ce dimanche 15 octobre au Cinéma du Parc à 20 h dans le cadre du Festival du Nouveau Cinéma de Montréal. Distribué par Entract Films, il prendra ensuite l’affiche en salle le 3 novembre.