Avec une oeuvre plus maîtrisée, assumée et réussie que son précédent film, Ara Ball débarque en trombe avec son deuxième long-métrage au titre impossible à manquer : L’Ouragan Fuck You Tabarnak! (souvent remplacé par L’Ouragan F.Y.T. pour les prudes). Un hymne senti à la jeunesse et aux laissés pour contre de la société dans un film comme en voit peu dans notre filmographie.
À l’instar de Farador, qui adaptait plus de 15 ans plus tard La bataille de Farador, on se plaît certainement à voir ce qu’on a conservé de la source, dont plusieurs passages et répliques repris pratiquement en totalité. Puisque voilà, il s’agit ici d’un projet en gestation depuis une bonne décennie, alors qu’Ara Ball est parvenu à adapter en formule long-métrage son court-métrage du même nom. Ce choix casse-gueule, mais judicieux, expliquerait peut-être pourquoi l’inspiration est encore plus éclatante ici que dans l’inusité, mais à demi convaincant Quand l’amour se creuse un trou de la veille.
Quiconque a déjà vu des créations de Ball connaît son côté marginal, mais aussi artistiquement fort et évocateur qui n’a pas peur d’emprunter des terrains beaucoup plus glissants que ce qu’on a l’habitude de voir. Il sera d’ailleurs aussi remarquable que surprenant de réaliser que les grandes institutions ont acceptés de financer ce pari risqué. Certes, il s’agit ici d’une occasion unique de donner la parole à ceux qui n’en pas ont souvent la chance (on est loin de Les Bougon dans ce portrait brossé des quartiers malfamés de Montréal, pris entre les craques des failles du système), mais il ne faut pas s’attendre à ce que le fougueux créateur profite de ce certain gage de confiance pour livrer quelque chose de plus lisse que son style distinct.
On saluera par contre la décision gagnante de partager l’écriture avec son amie de longue date Tania Duguay, également directrice de casting, un combo comme on le précise régulièrement, disons assez unique en son genre. Plus raffinée et précise, cette écriture témoigne d’une collaboration libre d’une immense richesse où presque toutes les failles d’origine sont évacuées pour faire de cette adaptation une œuvre beaucoup plus riche, forte, mais sans jamais rien perdre du message initial.
Au contraire, on a cette fois-ci décidé de prendre le parti du protagoniste, le jeune Delphis Denis dit L’Ouragan, au lieu de le confiner rapidement dans le jugement ou de seulement le représenter comme d’un bum fini impossible à sauver. L’inclusion est belle au niveau des personnages et des diverses réalités représentées et la certaine misogynie un peu dérangeante du projet de départ de 14 minutes a cédé sa place pour une profondeur qu’on accueille à bras ouverts.
On se plaît donc sans mal dans ce Les Quatre Cents coups version punk pour ne pas dire trash, où, à défaut de modèles ou de directions claires et précises dans sa vie, notre très jeune protagoniste décide de se faire sa propre loi et de se tracer son propre chemin.
Parfois malhabile, mais toujours vibrant
Bien sûr, ce ne sont pas tous les leviers qui sont au point et certaines manivelles sont parfois grassement huilées. Plus d’émotions signifie ici un peu plus de morale et les divers trajets s’avéreront tout de même assez classiques et similaires à d’autres coming-of-age. On pense notamment au petit clan de marginaux qui viennent aider lorsque tout semble perdu, un bon flash, mais qui ne brille pas par originalité. On retiendra davantage comment on a intelligemment décidé de représenter sa réticence à accepter l’aide qu’on lui apporte pourtant sur un plateau d’argent, d’une sincérité cruciale.
On réalise aussi que malgré la performance intense et nuancée de Larissa Corriveau, comme elle nous l’a si souvent prouvé, on ne sait pas toujours exactement quoi faire avec le personnage de la mère, beaucoup moins définie que bien d’autres des principaux à ceux plus secondaires et beaucoup plus utilisées à titre de ficelle narrative que d’une personne à part entière.
Certes, avec son look très cru rehaussé finement par sa forte direction artistique, voilà un film qui semble se rapprocher davantage d’un cinéma plus européen dans une liberté d’exécution d’une magnifique fluidité. Cette première collaboration avec Ian Lagarde aux images en est une que l’on souhaite qui se prolonge, tellement le noir et blanc cher au cinéaste est utilisé efficacement. Les mouvements de caméra et les plans d’ensemble (qui allègent souvent les adresses à la caméra pouvant être bien plus lourdes autrement) s’alignent aussi dans une vision précise qui empêchent le film de stagner vers quelque chose qui prendrait trop rapidement ses aises. Puisqu’on se le tienne pour dit, le long-métrage n’a jamais envie de s’assagir et c’est tant mieux. En ce sens, il n’ennuie jamais, même s’il s’étire peut-être un peu.
La reconstitution d’époque est aussi assez convaincante, comme Ball s’intéresse toujours aux enjeux du présent par le biais du passé, à l’exception d’un passage en métro un peu plus malhabile où il est impossible pour un montréalais de faire fi de toutes les affiches et la signalisation qui détonnent grandement dans cet univers pourtant ancré dans les années 1990.
Pour le reste, on compte comme toujours sur une distribution exemplaire qui fait toute la différence. Si le jeune venu Justin Labelle se dévoue corps et âme dans un personnage loin d’être facile, un premier rôle qui marquera certainement les esprits, il ne serait rien si ses partenaires de jeu ne lui en donnaient pas autant, ce qui est certainement le cas. De Nico Racicot à Émile Schneider, en passant par Karine Gonthier-Hyndman et le toujours très facile à détester Patrice Dubois, on aurait peut-être souhaité ne serait-ce qu’un petit cameo de Luka Limoges, oui pour des raisons évidentes, ou même Étienne Galloy qu’on se surprend à voir dans le court-métrage d’origine, bien avant la notoriété qu’on lui connaît aujourd’hui, on savoure tout le talent qui se déploie avec panache à l’écran.
Enfin, il vaut quand même la peine de mentionner la participation de l’unique Julien Mineau (oui-oui du groupe Malajube) pour la trame sonore, qui ajoute certainement à l’ambiance distincte du film. Un long-métrage assez coup de poing dont on ne ressort pas exactement indemne, qui fesse et dérange avec habileté, mais qui charme aussi par son coeur jamais bien loin.
7/10
L’Ouragan Fuck You Tabarnak! est présenté à nouveau dans le cadre du Festival du nouveau cinéma à Montréal, le mercredi 11 octobre à 20 h 45 au Cineplex Quartier Latin. Si la Première en présence de toute l’équipe était une occasion unique, plusieurs membres de l’équipe seront tout de même présents.
Distribué au Québec par Funfilm, il n’y a pas encore de date de sortie en salle.