Le « reel » du pendu, cela sonne presque comme le rire du pendu… Si cette danse effrénée jouée sur un violon provoque dans la légende l’acquittement du condamné à mort, elle ne constitue que le triste point d’orgue de la situation d’horreur que vit la famille présentée dans l’œuvre de Jeanne-Mance Delisle et écrite il y a 40 ans. La pièce de l’Abitibienne n’a rien perdu de son actualité et des situations comparables à celle de la famille du Tonio Morin de la fiction ne sont pas près de disparaitre.
Tonio, le père de famille, présente un profil peu glorieux. Alcoolique, fêtard, menteur, colérique, violent, pervers; non seulement il est incapable de nourrir sa famille, mais il entretient une relation intime avec sa fille Pierrette âgée de 18 ans.
La mère s’en fait un peu la complice en étant incapable de protéger ses enfants et en rêvant encore de l’amour de son mari. Le fils aîné a peut-être sans le vouloir choisi la grande débilité pour se protéger de ce bouillon de culture malsain et continuer à aduler son père. Les deux plus jeunes filles sont aussi sur la voie de la pathologie.
Quant au gendre Camille, qui semble quand même le plus lucide, il participe finalement activement par son comportement de cette contamination familiale.
C’est un pari plutôt risqué que de présenter une pièce sur une famille aussi pathogène où les événements sont somme toute assez tristement prévisibles. Du coup, toute la qualité de l’œuvre provient de sa mise en scène et du jeu des différents acteurs.
Ceux-ci sont tous remarquables. Certains rôles sont plus saillants que d’autres et donnent l’occasion de magistrales performances. C’est le cas bien sûr de Gérald, le grand fils débile prénommé Ti-fou. Mais les rôles de Tonio ou de la mère, chacun selon sa personnalité, offrent l’occasion d’un jeu très réussi. Également ceux des trois filles et du gendre.
Du côté mise en scène, les décors présentent l’intérieur d’un logis où les meubles sont régulièrement déplacés comme pour montrer que de quelque côté qu’on se place, la situation est gangrénée.
Le tout est entouré d’une sorte de grande structure étouffante qui isole le noyau familial de toute aide étrangère, mise à part l’intervention de la police qui aurait pu être salutaire, mais ne l’est finalement pas.
Les jeux de lumières et surtout la musique grinçante ajoutent au ressenti du spectateur devant cette famille où pourtant on rit, on s’amuse et on plaisante comme si tout était normal, ou pour tenter de survivre aux catastrophes qui ne peuvent qu’advenir.
Un reel ben beau, ben triste
Une pièce de Jeanne-Mance Delisle
Mise en scène: Marc Béland
Avec: Nathalie Mallette, Frédéric Boivin, Ève Duranceau, Jimmy Jean, Sarah Laurendeau, Jean-Sébastien Lavoie, Gabrielle Lessard, Benoit Mauffette et Christophe Payeur
Un reel ben beau, ben triste, du 27 septembre au 28 octobre 2023 au théâtre du Rideau vert, à Montréal