En ouverture de sa 26e saison, Danse Danse célèbre les 50 ans des Ballets Jazz de Montréal, cette compagnie de danse contemporaine internationale de qualité exceptionnelle. Et pour cette belle occasion, la nouvelle directrice artistique Alexandra Damiani des BJM a concocté un triple programme très varié intitulé Essence, trois créations des merveilleuses chorégraphes que sont Ausia Jones, Crystal Pite et Aszure Barton. Éblouissant du début à la fin!
Le spectacle débute par la pièce We Can’t Forget About What’s His Name d’Ausia Jones, une jeune artiste-interprète et chorégraphe dont il faudra absolument suivre la carrière. Sur une musique soul groove envoutante où l’on perçoit une voix masculine qui prononce quelques mots énigmatiques tels que « work » ou « relax », les corps revêtus de belles tenues noires, qui contrastent avec les bras et les visages, se mettent en mouvement et font ressortir leurs paradoxes.
Tantôt saccadés, tantôt au ralenti, les artistes déploient une incroyable énergie à l’intérieur de très beaux décors uniquement lumineux obliques ou verticaux qui forment l’architecture de la scène. Pas de thème dans cette œuvre sinon l’exploitation chorégraphique à partir d’une musique particulière d’un système d’opposition qui rend la pièce intense pour les danseurs comme pour les spectateurs. Les corps adoptent des mouvements robotisés puis humanisés, rapides puis lents… et sur l’hypnotique fond sonore, on entend le silence absolu des danseurs qui malgré leurs prouesses font ressortir pour les spectateurs le contraste avec la musique.
À ce moment merveilleux, suit la superbe pièce Ten Duets on a Theme of Rescue. Au cœur d’une quinzaine de hauts projecteurs sur pieds, la talentueuse chorégraphie Crystal Pite a placé ses artistes en les liant par couples. Ici c’est clairement le thème du duo qui est exploité. Les danseurs se font presque acteurs en suggérant différentes situations entre eux.
Et l’on perçoit subtilement à travers leurs mouvements admirables et élégants des situations amoureuses ou antagonistes, de gémellité ou de combat, fusionnelles ou d’entraides, de rupture ou de lien tandis que les couples se défont et se refont autrement. Ici les tenues des artistes sont plus colorées, sortes de vêtements de ville élégants qui mettent en valeur les mouvements et les corps magnifiques.
Enfin, la soirée se conclut sur une troisième pièce, Les chambres des Jacques de Aszure Barton, dans laquelle ce sont les douze danseurs revêtus de tenues couleurs chaudes avec quelques touches froides, hommes et femmes, qui interviennent.
Pour cette œuvre, les très beaux morceaux de musique sont non seulement hétéroclites mais totalement surprenants. De Gilles Vigneault au compositeur de musiques de film Alberto Iglesias, en passant par du classique, des voix lyriques ou du klezmer, les danseurs semblent non seulement danser mais jouer des scènes, avoir des interactions et ressentir des émotions particulières dont le public est totalement étranger, et cela à dessein.
Car ainsi, les spectateurs focalisent toute leur attention sur les mouvements des corps des artistes et leurs virtuosités qui s’adaptent bien sûr aux rythmes musicaux, en y ajoutant quelque chose de théâtral, bien qu’inaccessible. Les artistes chutent sur le sol, semblent heureux ou en colère, ils se disent des choses en passant et crient parfois. Et le tout s’effectue sur ces musiques splendides et dans des chorégraphies toujours époustouflantes.
Les trois œuvres de la soirée font ressortir l’incroyable créativité de la danse contemporaine, à quel point les œuvres peuvent être variées au niveau des mouvements toujours plus innovants, des équilibres et des déséquilibres que les corps déploient, de l’exploitation intelligente et esthétique de la musique et des décors lumineux et des thèmes que les spectateurs – au-delà de la beauté des gestes – s’efforcent en général de repérer, quand bien même il n’y en a pas vraiment.
Essence
Durée 90 minutes
Ausia Jones + Crystal Pite + Aszure Barton
Ballets Jazz de Montréal
Danse danse
Essence, du 27 au 30 septembre 2023 au théâtre Maisonneuve, Place des Arts, de Montréal