À quels produits chimiques sommes-nous exposés sur une base quotidienne? Voilà la question centrale au coeur de l’analyse non ciblée, ou ANC, un nouveau domaine d’expertise visant à identifier l’ensemble des produits chimiques qui nous entourent. Une tâche herculéenne, car comment peut-on savoir si nous avons tout détecté, si nous ne savons pas ce que nous cherchons? Des scientifiques néerlandais et australiens estiment toutefois avoir des pistes de réponse.
Dans une étude publiée dans Environmental Science and Technology, des membres des Universités d’Amsterdam et du Queensland se sont attelés à la tâche. Dans le cadre d’une méta-analyse de résultats d’ANC récoltés au cours des six dernières années, ils estiment que moins de 2 % de tous les produits chimiques ont été identifiés jusqu’à présent.
Selon Viktoriia Turkina, qui a participé à l’étude, cette limitation souligne le besoin urgent d’adopter une approche plus proactive en ce qui concerne la surveillance des produits chimiques et leur gestion. « Nous devons inclure davantage de stratégies basées sur des données pour être en mesure de protéger efficacement la santé humaine et celle de l’environnement », a-t-elle déclaré.
De son côté, son collègue le Dr Saer Samanipour explique que la surveillance actuelle des produits chimiques est assez limité, puisqu’elle est chère, prend du temps, et nécessite l’apport d’experts spécialisés. « Par exemple, aux Pays-Bas, nous avons l’un des programmes les plus sophistiqués pour surveiller les produits chimiques représentant un risque pour la santé humaine. Malgré tout, celui-ci ne cible que moins de 1000 substances. Il y a un bien plus grand nombre de ces produits, en circulation, et dont nous ne savons rien. »
Un vaste domaine
Pour gérer tous ces produits chimiques, le concept d’ANC a été mis en place, il y a entre 15 et 20 ans, pour s’intéresser aux risques d’exposition des humains de façon non biaisée. L’idée consistait à récolter un échantillon dans l’environnement (air, eau, sol, boues d’égout, etc.), ou du corps humain (cheveux, sang, etc.), et l’analyser en utilisant des techniques bien connues, comme la chromatographie combinée à la spectrographie de masse à haute résolution.
Le défi consiste alors, affirme-t-on, à relier le signal obtenu aux structures des produits chimiques qui pourraient être présents dans l’échantillon. Cela comprend des produits chimiques déjà identifiés, mais aussi d’autres substances dont la présence potentielle, dans l’environnement, est encore inconnue.
En théorie, cet « espace chimique » pourrait inclure jusqu’à 10 – suivi de 60 zéros – composantes, un nombre incompréhensible qui dépasse de loin le nombre d’étoiles dans l’univers. De l’autre côté, le nombre de substances organiques et inorganiques recensées dans la littérature scientifique et des bases de données publiques avoisine les 180 millions.
Pour rendre leur étude plus facile à gérer, Mme Turkina, le Dr Samanipour et leurs collègues se sont concentrés sur un sous-ensemble de 60 000 composantes bien connues dans une base de données elle aussi bien établie.
Selon Mme Turkina, « cela a servi de référence pour établir ce qui est couvert dans les études ANC, et de façon encore plus importante, pour avoir une idée de ce qui n’est pas observé ».
Au dire du Dr Samanipour, ce gigantesque total du nombre de produits chimiques auxquels les humains sont exposés sont un signe de notre époque.
« Ces jours-ci, nous baignons dans un océan gigantesque de produits chimiques. L’industrie a sa responsabilité, mais la nature procède aussi à tout un genre de réactions qui entraîne notre exposition à des substances. Et nous nous plaçons nous-mêmes dans des situations délicates en raison de objets que nous utilisons – pensez par exemple aux microplastiques. Pour résoudre tous ces problèmes, nous allons devoir aller au-delà du fait de lancer des accusations. Avec nos travaux, nous espérons contribuer à trouver une solution ensemble. Parce que nous sommes tous dans le même bateau. »
Beaucoup de marge pour s’améliorer
La méta-analyse, qui a inclus 57 études sur l’ANC, a révélé que seulement environ 2 % de cet « espace chimique » était couvert, jusqu’à maintenant.
Cela peut indiquer que l’exposition aux produits chimiques est très basse, mais cela peut aussi indiquer les manquements présents dans les analyses appliquées.
Selon Mme Turkina et le Dr Samanipour, c’est plutôt la deuxième option qui prévaut.
Et donc, selon eux, il y a encore de la marge pour améliorer la détection et la surveillance des produits chimiques. Par exemple, lors de la préparation des échantillons, ils ont constaté qu’il existait un fort biais en faveur de certaines composantes spécifiques, plutôt que de chercher à capter un ensemble de substances plus diverses. On a aussi remarqué une mauvaise sélection et un signalement inconstant des paramètres de test et des méthodes d’acquisition de données.
« En général, la communauté de l’analyse chimique est largement alimentée par la technologie disponible que des vendeurs ont mis au point à des fins d’analyses très spécifiques. Et donc, les outils et les méthodes de traitement de données sont assez limités lorsque vient le temps d’effectuer une analyse non ciblée », juge encore le Dr Samanipour.
Pour ce dernier, donc, il est nécessaire d’aller de l’avant avec l’approche de l’ANC. « Mais nous devons la développer davantage et la faire progresser. Avec les vendeurs de technologies, nous pouvons mettre au point des méthodes d’analyse et des outils plus versatiles et plus puissants. »