Si la maison d’édition Moelle Graphik se spécialise habituellement dans les œuvres signées par des créateurs québécois de bandes dessinées, elle publie son tout premier projet international avec Le cerf aux bois de fer, un album de l’artiste français Jean Villemin.
Album atypique scénarisé et illustré par l’artiste français Jean Villemin, Le cerf aux bois de fer relate un voyage initiatique à travers une histoire « comme on en raconte dans les livres pour enfants ». Le personnage principal, qui ne sera jamais nommé de tout l’album et demeurera anonyme, vient d’être embauché comme chemineau dans une fonderie industrielle où il effectue le quart de nuit. Il devient rapidement obsédé par une légende que se racontent les travailleurs entre eux, celle d’un mystérieux cerf doté de bois de fer rôdant dans les parages.
Une nuit, le héros aperçoit le mythique animal dans la grande halle d’un haut-fourneau de la fonderie. Même si personne ne le croit, il a le sentiment de faire enfin partie de l’histoire, et de ne plus être un simple spectateur. Il décide alors de suivre les traces de sabots imprimées dans la poussière. Celles-ci le mènent jusqu’à la forêt noire, où l’animal semble l’attendre, comme pour s’assurer qu’il est bien à sa suite. L’homme se voit alors entraîné dans une étrange aventure, où il fera la rencontre de chasseurs, d’hommes-racines, d’un vieux fou, et d’un corbeau philosophe.
Inspiré des légendes celtiques, plus particulièrement de celle de Cernunnos, un dieu gaulois représenté avec des bois sur la tête et qui personnifie le cycle de la nature, reflétant à la fois la vie et la mort, la germination et le dépérissement, Le cerf aux bois de fer est un album très atmosphérique, une impression renforcée par le fait qu’il n’y a pratiquement pas de phylactères et que le texte se présente sous la forme de légendes sous les illustrations, ce qui leur donne l’allure d’un monologue intérieur même si la narration s’adresse au personnage principal et non pas au lecteur, une approche onirique qui ne conviendra peut-être pas à tous.
Jean Villemin imagine un monde ordinaire en surface, mais dans lequel la mythologie s’insinue peu à peu. Puisque son chemineau évolue dans une sorte de noirceur perpétuelle, travaillant de nuit et se couchant au soleil levant, le récit prend la forme d’un songe éveillé. La chaleur extrême de la forge donne à sa fonderie des allures infernales, évoquant l’Hadès et les damnés s’y démenant. Comme dans les contes, la seule lumière provient de la forêt, le lieu magique de tous les possibles. Si j’ai apprécié l’ambiance unique établie par l’auteur, la conclusion de l’intrigue, vraiment ambiguë et ouverte à l’interprétation, m’a toutefois énormément déçu.
Le cerf aux bois de fer brille davantage par sa facture visuelle que son scénario. Effectuées à l’aquarelle, on sent les coups de pinceaux dans chaque illustration et l’on discerne les endroits où le papier a bu le pigment, ce qui donne à l’ensemble une facture très artistique, plus proche de la peinture que du dessin. Cette technique crée des personnages assez sommaires et peu définis, mais des paysages impressionnants : grandes cheminées industrielles crachant leurs nuages de fumée, cuves laissant couler le métal fondu chauffé à blanc, forêts touffues nappées de brumes. À l’exception de deux ou trois cases ornées de rouge, l’ensemble des planches affichent une teinte sépia, une coloration se prêtant merveilleusement bien à l’univers dépeint ici.
Avec ses relents de mysticisme et sa narration atypique, Le cerf aux bois de fer n’est peut-être pas une œuvre qui séduira un large public, mais ce roman graphique d’une grande beauté devrait toutefois charmer les amateurs d’art et de mythologie celtique par son approche très personnelle, et onirique.
Le cerf aux bois de fer, de Jean Villemin. Publié aux éditions Moelle Graphik, 72 pages.
Un commentaire
Pingback: Critique Le cerf aux bois de fer - Patrick Robert