La page couverture du magazine Scientific American d’octobre titre : « Vivrons-nous un jour dans l’espace? » Mais l’article correspondant, à l’intérieur, est intitulé : « Pourquoi nous ne vivrons jamais dans l’espace ».
De fait, les amateurs de science-fiction qui en rêvent oublient souvent les obstacles qui se dressent encore sur la route: médicaux, financiers et éthiques. Alors que la NASA parle d’une base permanente sur la Lune comme étant dans un horizon pas si lointain, et que des entrepreneurs comme Elon Musk évoquent une colonisation de Mars ou des exploitations minières sur des astéroïdes, la réalité est peut-être plus éloignée que ces récits le suggèrent.
Les problèmes les plus souvent mentionnés sont ceux liés à la santé. L’article du Scientific American cite Sonja Schrepfer, de l’Université de Californie à San Francisco, qui a étudié ce qui se passe dans les vaisseaux sanguins des astronautes qui font de longs séjours sur la station spatiale internationale: ils deviennent plus rigides, et c’est en partie ce qui explique la difficulté qu’ont les astronautes à marcher, à leur retour. S’ils débarquaient sur Mars dans cet état, après huit mois passés en apesanteur, personne ne serait sur place pour les aider. En théorie, on pourrait développer des traitements pour empêcher cette « rigidité » au niveau moléculaire, mais « le voulons-nous », demande Schrepfer: peut-être s’agit-il d’un mécanisme de protection des vaisseaux sanguins, auquel cas le contourner pourrait causer d’autres problèmes médicaux.
Les problèmes de vision, aux os, aux muscles et au système immunitaire, sont aussi dans la liste des obstacles médicaux qui n’ont pas encore été résolus, après toutes ces années à étudier des humains et des souris en apesanteur. Sans compter les dommages potentiels causés par une exposition de longue durée aux radiations du Soleil. Là encore, en théorie, l’astronaute pourrait s’isoler dans une pièce spécialement protégée à l’intérieur d’un vaisseau spatial ou sur la Lune : mais dans ce dernier cas, encore faudra-t-il que l’astronaute ait le temps de s’y rendre, considérant qu’une alerte d’éruption solaire lui laisserait moins de 30 minutes.
L’espace, ça coûte cher
Mais un problème moins souvent cité est celui lié aux coûts. Elon Musk a pu donner l’illusion qu’un philanthrope s’en chargerait, mais c’est oublier que sans l’apport des gouvernements, les compagnies privées qui font actuellement leur chemin dans l’espace n’existeraient pas: elles dépendent des subventions et des contrats gouvernementaux. « Quel est le modèle d’affaires » de la colonisation d’une autre planète?, demande Matthew Weinzierl, professeur à l’École d’économie de l’Université Harvard. « La faisabilité technique n’équivaut pas à un dossier économique solide », ajoute son collègue Brendan Rousseau.
Le tourisme spatial peut apporter des revenus, mais il n’y a pas un nombre illimité de millionnaires capables de se payer un billet pour passer quelques jours en orbite, encore moins un voyage de huit mois vers Mars.
Et le contribuable n’est pas nécessairement d’accord non plus. Tout le monde aimerait voir la colonisation de l’espace, ajoute Rousseau. « En autant que nous ne sommes pas ceux qui payons la facture. » Et c’est là qu’intervient l’aspect éthique: pourquoi coloniser l’espace? Il y a les impacts qu’on pourrait qualifier de philosophiques — élargir nos connaissances, découvrir de nouveaux horizons —, mais ceux-ci seront inévitablement confrontés aux réalités du moment: régler la crise du logement ici avant d’aller construire des logements sur une autre planète, par exemple.
Sans compter que la vie dans des habitats martiens ne sera pas agréable, tout au moins pendant un bon bout de temps — ressources alimentaires et sanitaires limitées, peu de loisirs et de culture à proximité, impossibilité de sortir au soleil sans un équipement lourd. Et les risques de décès — ou de cancer, ou de maladies liées aux pertes osseuses ou aux déficiences immunitaires — seront beaucoup plus élevés pour ceux qui partiront.
Ce sont des arguments qu’on entend rarement dans la science-fiction, et qui expliquent la dissonance entre le titre accrocheur de la page couverture du magazine et le titre plus réaliste à l’intérieur. « Les explorateurs spatiaux », conclut Gary Westfahl, auteur et critique de science-fiction, « sont souvent décrits comme meilleurs et plus braves que ceux qui restent sur leur planète natale: ils sont ceux qui font avancer la civilisation ». Mais « l’histoire ne montre aucune corrélation entre le voyage et la vertu »: un grand nombre d’avancées scientifiques ont été réalisées par des gens qui n’ont pas bougé de leur laboratoire.