Le Festival international de littérature de Montréal s’empare des sens et de la parole libre pour introniser l’automne de l’intime. Du 20 au 30 septembre, la fratrie des acteurs – actrices communie à celle des auteurs – autrices avec une programmation toujours enlevante. Sur les traces de Colette, dans l’ombre de Kubrick, à la suite de Catherine Ringer, sensuellement incarnée dans la prose d’Alice Mendelson. Pour ouvrir ce délicieux bal de Lettres et de vertiges, qui de mieux qu’un saltimbanque démasqué et sa fébrilité pour la poésie : Edgar Bori.
Duende en souvenir de Michel Garneau
La frénésie habitant l’artiste, à quelques jours des premières représentations du spectacle Poésinutiles au Québec, se ressent. Ivre d’inspiration, l’homme qui vit de sa muse à faciès découvert a tant à dire sur ces poésies de l’inutile. Ce « duende », comme il se plaît à qualifier cet endiablé chantier d’écriture né d’un labeur acharné. Sur des cahiers noircis à l’encre de l’essentiel, de la première à la dernière page, entre 2017 et 2020. Une promesse de la mémoire amicale tenue à son ami éternel, le poète Michel Garneau, disparu en septembre 2021.
La graine de création de cet élan commun du spectacle Garneau / Bori où Edgar transportait ses mots avec ses chansons. Une amitié rare, ponctuée d’heureuses coïncidences : les deux hommes ont fréquenté le même collège classique, les mêmes professeurs pour ultimement quitter ces bancs du savoir où la poésie se sentait trop à l’étroit.
« Je lui avait fait promettre d’écrire et de monter sur scène. Il était un Dieu pour moi. Sa poésie n’était pas péteuse de broue, propre à un Québec que l’on peut suivre », se souvient Edgar Bori, qui aurait prêté la voix à Michel pour défiler cette « poésie de l’évidence ».
Durant plus d’une heure, Bori garde le fil et s’y enchevêtre en récitant les 36 poèmes du recueil Poésinutiles paru en 2020. Trois ouvrages complètement liés, interdépendants, mus par le mot divin « poésie ». Une démarche livrée sur les rivages de l’île d’Oléron qui verront la gestation d’une série aussi riche qu’imaginative. De la Poésirréparable, à la Poésimmortelle et la Poésinnommable, l’auteur relate les anecdotes de l’existence. De l’enfance à l’adolescence, de l’accoutumance au fardeau et à la mort. Une poésie essentielle pour Edgar Bori qui entend bien l’offrir le cœur grand ouvert. « Les gens ont faim et soif de poésie. Sur scène, nous serons une centaine de personnes, sans micro apparent. Je m’adapte à la rencontre et au partage, par exemple en faisant appel à eux pour reproduire le délire… », s’extasie le poète pour qui tous les mots ont leur sens universel.
La marche ultime vers l’autre
Si Bori parvient à se jouer de la liberté de se dévoiler comme jamais, il le doit à l’Hexagone, là où il apprend la clé scénique du metteur en scène Michel Bruzat. À la tête du Théâtre de la Passerelle de Limoges, l’homme lui apprend qu’on ne meurt pas sur les planches. L’attirance du public n’est pas un gouffre de l’oubli de soi. Son regard est délivrance. Une révélation pour l’artiste ayant enterré anxiété et tract.
« On est comme les autres en étant nous-même. Je n’ai jamais eu besoin de monter sur scène pour qu’on me dise je t’aime. Je ne pouvais pas regarder les autres, mais aujourd’hui, après des années de thérapie dans l’ombre, je vis l’exigence de la scène sans crainte. C’est un voyage de la vie de tous les jours… »
Poésinutiles
Coproduction Théâtre de la Passerelle et Productions de l’onde
26 septembre au Théâtre Outremont (spectacle présenté dans le cadre du Festival international de la littérature – FIL)
11 au 15 octobre: Théâtre de la Passerelle, Limoges (France)