Il y a quarante ans déjà le groupe mythique Talking Heads immortalisait son spectacle de tournée sous la réalisation de l’excellent cinéaste Jonathan Demme dans un film intitulé Stop Making Sense. Un projet qui renaît désormais avec bonheur grâce aux soins de A24.
Il est impossible de ne pas trouver de raisons pour un tel événement. Oui il y a les quarante ans du concert en question, il y a cette possibilité merveilleuse de finalement réunir le groupe, mais également la mort encore récente de son réalisateur Jonathan Demme, décédé en 2017.
Suivant l’acquisition du Pi de Darren Aronofsky, à laquelle s’est jointe une restauration 4K et une séance de questions et réponse en direct après une représentation unique en format IMAX, voilà que le distributeur oscarisé A24 remet ça en profitant du TIFF pour lancer en grande pompe cette somptueuse restauration du long-métrage musical Stop Making Sense dans les plus grands écrans du monde. Le tout suivi d’une fascinante et fort amusante séance de questions et réponses modérée par nul autre que Spike Lee, avec qui David Byrne avait collaboré pour American Utopia pour HBO. L’ensemble a été retransmis en direct dans le monde entier.
En ce qui concerne le film, on se sera rarement senti en immersion aussi totale avec le groupe. Oui, il y a le côté imposant que les gigantesques écrans IMAX permettent, mais comme toujours, le soin apporté aux détails découlant de l’excellent travail sonore permet de redécouvrir ces excellentes versions live, comme on les a rarement entendues. D’abord parce que la restauration est impeccable, merci à ce film pionnier qui fut l’un des premiers à enregistrer l’audio de manière digitale, mais aussi parce que l’énergie du groupe est comme toujours immensément contagieuse.
Qu’on voit le film pour la première fois ou qu’on le réécoute pour la centième, impossible de ne pas taper du pied et de se déhancher, un peu comme tous les membres qui ne restent jamais immobiles plus de quelques secondes par le biais de chorégraphies endiablées. On comprend d’ailleurs rapidement que le groupe a plus d’un tour dans son sac, lorsque David Byrne et ses airs de Cillian Murphy commence d’emblée seul sur scène avec un de leurs plus grands succès: Psycho Killer.
Il faut d’ailleurs admirer l’ingéniosité de sa mise en scène des plus visionnaire, qui construit littéralement la scène sous nos yeux, ajoutant à chaque nouvelle chanson un nouvel élément créant la cohésion du groupe. Et si David Byrne est de loin le cerveau derrière la bande (son énergie est également particulièrement inégalable, à le voir se déhancher de gauche à droite sans répit et sans le moindre signe apparent d’effort), le tout ne devient entier que lorsque toutes les pièces sont assemblées. Leurs nombreux collaborateurs, tous présentés un à un par Byrne lui-même, inclus.
Difficile de ne pas trouver l’apogée de la production dans des moments forts comme lors des inévitables This Must Be The Place (Naive Melody) et Once in a Lifetime.
Si le travail dantesque de montage, par Lisa Day, du matériel capté sur plusieurs représentations nous laisse parfois nous demander si tous les choix étaient les plus judicieux (c’est certain qu’on aimerait porter notre attention sur tout à la fois), on ne pourra certainement pas trouver de reproches à la direction photo de Jordan Cronenweth qui tournait à peine quelques années plus tôt un certain Blade Runner! Comme on s’en doute, il tire admirablement avantage de l’éclairage et de ses possibilités, tout comme des élans créatifs de Byrne via ses choix de mise en scène.
On regrettera aussi que le tout ne dure qu’une heure et demie, tellement on en voudrait davantage (après tout, plusieurs chansons ne se sont pas retrouvées dans le produit final) et que l’ensemble, un baume immédiat pour le coeur qui laisse un large sourire sur nos visages tout du long, s’avère merveilleux à tous les niveaux possibles.
Du côté de la séance de questions et réponses retransmise en direct de Toronto, s’il semblait y avoir une certaine gêne au sein de ce groupe réuni après tant d’années, c’était néanmoins remarquable de revoir les quatre membres du groupe, Tina Weymouth, Jerry Harrison, Chris Frantz et bien sûr David Byrne, encore pratiquement identiques, une part de sagesse en extra.
Armé de sa fougue authentique habituelle, Spike Lee a su animer le tout avec beaucoup d’énergie apportant l’exercice dans des recoins intéressants, même si ce ne sont pas toutes ses questions ou celles choisies du public (dont l’une d’un Montréalais dans la salle que nous occupions) qui ont su susciter les meilleures réponses. C’était toutefois génial de les entendre se replonger dans l’expérience et de réaliser tout le chemin qui a été parcouru et aussi tout l’impact qui a suivi. Il était intéressant de constater à quels endroits les points de vue différaient et/ou se rejoignaient. Lee a également essayé de leur soutirer la vérité sur leurs chansons préférées, ce qui ne fut pas le plus simple comme réponses à obtenir.
Au final, on est sortis énergisés et complètement repus d’une création aussi remarquable et satisfaisante. À ne pas manquer.
À quand le même traitement pour Sign ‘O’ the Times, de Prince?
9/10
La nouvelle restauration 4K de Stop Making Sense devrait revenir en salles, autant en IMAX qu’en version conventionnelle, dans les prochaines semaines.