Le 7 mars dernier, une nouvelle sur un matériau « supraconducteur capable de s’affranchir du froid » générait beaucoup d’excitation… et beaucoup de scepticisme. Six mois plus tard, le scepticisme est toujours de mise.
D’emblée, si ça se réalisait, ce serait une révolution: on appelle supraconducteur un matériau à l’intérieur duquel le courant électrique ne rencontre pas de résistance, ce qui pourrait conduire autant à des lignes électriques sans perte d’énergie qu’à des trains fonctionnant par lévitation. Le problème, c’est que pour obtenir, en laboratoire, la supraconductivité, il faut refroidir le matériau sous le point de congélation, voire à moins 200 degrés Celsius. Or, ce que des chercheurs ont proclamé avoir réussi, le 7 mars dernier, c’est un matériau supraconducteur « à température ambiante ».
La prudence était donc de mise, comme chaque fois qu’une recherche proclame avoir réalisé quelque chose d’inédit: il faut attendre que d’autres chercheurs, ou d’autres études, confirment les résultats.
Mais dans le cas de cette histoire, il y avait aussi d’autres raisons d’être prudent: la « percée » arrivait d’une équipe qui faisait déjà face à des doutes après une recherche rétractée sur les supraconducteurs. Parue dans Nature en 2020, cette recherche annonçait elle aussi un nouveau supraconducteur censé fonctionner « à la température de la pièce ».
Dans les jours ayant suivi l’annonce du 7 mars, le magazine Quanta avait interrogé 10 « experts indépendants » dont les réactions allaient de « l’excitation » au « rejet catégorique ».
Depuis, plusieurs groupes, aux États-Unis et en Chine, qui ont tenté de reproduire les résultats, ont échoué. En septembre, Nature a ajouté une note à l’article, prévenant les lecteurs que « la fiabilité des données présentées dans ce manuscrit est actuellement en considération ». Et pour couronner le tout, l’auteur principal, le physicien Ranga Dias, a vu cet été un deuxième article être rétracté. Il était paru en 2021 dans la revue Physical Review Letters et portait sur les propriétés électriques du disulfure de manganèse. La note de rétractation indique qu’après enquête, il subsiste « des doutes sérieux sur les origines de trois des courbes de résistance à basse température ». Tous les co-auteurs, sauf Dias, ont signé la notice de rétractation (en d’autres termes, ils ont accepté les conclusions de l’enquête).
Sur le plan théorique, une telle percée n’est pas impossible. Des physiciens y travaillent depuis longtemps, et il existe bien des hypothèses expliquant comment, en-dessous d’une certaine température et au-delà d’une certaine pression, ça pourrait fonctionner. Un amateur de chimie dirait que tout matériau peut changer de propriété si on lui applique les conditions nécessaires: le tout est donc de trouver la bonne combinaison… en espérant que celle-ci soit réalisable en-dehors d’un laboratoire.
En attendant toutefois, se pose la question des intentions des auteurs, pour qu’on en arrive au point où certains de leurs collègues les soupçonnent de fraude. S’est-il vraiment passé quelque chose dans leur laboratoire, de si subtil que les autres chercheurs ont été incapables de le reproduire? Ou ont-ils commis des erreurs dans leurs mesures d’un phénomène qui est indéniablement complexe, au point où ils ont cru voir quelque chose qui n’y était pas?