Tout incendie émet des gaz à effet de serre. Les énormes feux qui ont dévasté les forêts canadiennes cet été sont rapidement devenus, dans certains cercles, un prétexte pour remettre en doute la responsabilité humaine dans le réchauffement climatique, alléguant que ces incendies jouaient un rôle bien plus grand. Le Détecteur de rumeurs a comparé.
L’origine de la rumeur
Le 7 juin 2023, une publication sur Instagram du musicien américain Dave Bray avançait que les feux de forêt au Canada avaient émis davantage de carbone dans l’atmosphère en trois jours que toute l’humanité dans les 100 dernières années. La publication a été rapidement démontrée fausse, entre autres par le site PolitiFact et le quotidien USA Today.
Combien de CO2 a été produit par les feux, en 2023?
Certes, les feux de forêt ont atteint cette année une ampleur sans précédent. À la fin du mois de juillet, 120 000 km2 avaient brûlé, c’est-à-dire près de deux fois plus que le record établi en 1995.
Un mois plus tôt, le 27 juin, le Service européen de surveillance de l’atmosphère, Copernicus, estimait que les feux de forêt canadiens avaient déjà émis 160 mégatonnes d’émission de carbone, l’équivalent de 590 mégatonnes de CO2. Les émissions ont continué d’augmenter pendant l’été, pour atteindre 290 mégatonnes de carbone le 31 juillet, c’est-à-dire 1075 mégatonnes d’équivalent CO2. L’Institut d’écologie appliquée de l’Académie chinoise des sciences est arrivé à une estimation similaire le 28 juillet: 1110 mégatonnes d’équivalent CO2.
Le précédent record d’émissions remonte à 2014 : les feux de forêt avaient alors émis 138 mégatonnes de carbone (ou 511 mégatonnes d’équivalent CO2).
Combien de carbone les humains émettent-ils chaque année?
En comparaison, le Canada a produit à lui seul 738 mégatonnes d’équivalent CO2 en 2019 et 672 en 2020, année où la pandémie a conduit à un ralentissement général des activités.
C’est donc dire qu’entre le début de mai et la fin de juillet, les feux de forêt ont généré plus d’émissions de carbone que le pays entier en un an.
Mais les émissions canadiennes représentent moins de 2 % des émissions mondiales de GES. En 2022, la combustion des énergies fossiles a en effet produit 36 600 mégatonnes de CO2 sur la planète, peut-on lire sur le site de l’agence des océans et de l’atmosphérique des États-Unis (NOAA). Les activités humaines ont donc émis, en 2023, environ 36 fois plus que les émissions produites par les feux de forêt canadiens du début de l’été.
Combien de CO2 les humains ont-ils émis depuis la révolution industrielle?
Qui plus est, la rumeur va encore plus loin, puisqu’elle prétend que les feux de forêt auraient émis plus de GES que les humains depuis un siècle. Or, toujours selon la NOAA, les humains auraient généré 1,5 million de mégatonnes d’équivalent CO2 depuis la Révolution industrielle. Cela signifie donc que les émissions des feux de forêt canadiens représentent 0,07 % des émissions produites par l’humanité.
Quelles conséquences pour l’atmosphère?
Il y a une autre donnée essentielle dont il faut tenir compte. Lorsqu’une forêt brûle, le CO2 libéré provient des arbres. Ces forêts incendiées vont ensuite repousser, en réemprisonnant dans le bois et les racines l’essentiel du carbone libéré. À long terme, il n’y a pas d’augmentation nette du carbone atmosphérique. C’est pour cela que, malgré des années catastrophiques en termes de feux de forêt dans le passé, la concentration de CO2 atmosphérique n’a pas bougé pendant des millénaires.
C’est l’utilisation industrielle de combustibles fossiles emprisonnés dans le sous-sol depuis des millions, voire des centaines de millions d’années, qui ajoute d’importants volumes de CO2 dans l’atmosphère. Et si ce CO2 inquiète, c’est parce qu’il est persistant. Chaque molécule demeure en effet dans l’air de 300 à 1000 ans.
C’est pour cette raison que les concentrations de CO2 dans l’atmosphère ont explosé dans le dernier siècle. L’Observatoire Mauna Loa à Hawaï, qui en effectue la mesure depuis 1958, évalue cette concentration à 419 parties par million cette année (PPM). Elle était de 400 PPM en 2014 et de 369 PPM en 2000.
En mesurant le CO2 emprisonné dans des bulles d’air de carottes glaciaires, les scientifiques ont conclu que ces concentrations de CO2 atmosphérique étaient demeurées en deçà de 280 PPM au cours des derniers milliers d’années.
Par ailleurs, lorsqu’on regarde les données de l’Observatoire Mauna Loa entre le début du mois de mai et la fin juillet, il n’y a aucune hausse importante des concentrations de CO2 qui pourrait correspondre aux feux de forêt du Canada ou d’autres pays de l’hémisphère nord. La contribution de ces feux au CO2 atmosphérique est donc négligeable, comparativement à l’activité humaine.
Verdict
Les feux de forêt canadiens ont battu des records d’émissions de carbone, pour des feux de forêt. Mais leur contribution à l’augmentation globale de l’effet de serre ne représente qu’une infime fraction de la combustion des énergies fossiles.