Dix ans, 500 scientifiques et 600 millions d’euros plus tard, le Humain Brain Project arrive à son terme. Si on est encore loin d’une carte du cerveau humain sur ordinateur, cette méga-entreprise financée par l’Union européenne a néanmoins conduit à la publication de milliers d’études.
L’objectif général était de mieux comprendre le cerveau en produisant une modélisation informatique de son fonctionnement. On en est encore loin: certaines des études ont certes produit des cartes 3D détaillées, mais de régions spécifiques du cerveau; elles sont aujourd’hui réunies dans un même « atlas » des cerveaux, appelé EBrains. D’autres chercheurs ont exploré des traitements pour divers troubles cérébraux, ou le développement d’implants qui pourraient contrer la cécité.
On avait reproché au projet cette cible d’une « carte » du cerveau: plusieurs scientifiques l’avaient critiquée comme étant irréaliste il y a 10 ans. Le projet était de plus très vague quant à la façon dont cette cible pourrait être atteinte. Les controverses ont fait l’objet d’un documentaire en 2020.
Mais même si, à l’évidence, la cible n’a pas été atteinte, ce ne sont plus ces critiques que l’on entend, alors que le projet doit prendre fin en septembre. Les intervenants interrogés ce mois-ci par la revue Nature sont plutôt élogieux quant à la masse des recherches sur le cerveau qui n’auraient pas été possibles sans cette somme d’argent débloquée par les autorités européennes. Et ce, à un moment où on commençait à peine à percevoir combien la tendance au « Big Data » en science s’avérerait fondamentale pour un objet aussi complexe: le cerveau humain abrite environ 100 milliards de neurones, chacune connectée à plusieurs autres, et c’est dans ces connexions que se cachent les mystères de notre conscience, de notre mémoire et de nombre de nos activités quotidiennes.
Dix ans plus tard, les projets de « cartographie » ou de « catalogage » des neurones sont à présent nombreux (dont un programme chinois lancé en 2021), au point où les scientifiques qui ont été activement impliqués dans le consortium européen craignent de se faire damer le pion. « Nous étions un des premiers à initier cette vague d’intérêt dans le cerveau », affirme dans Nature le neuro-informaticien Jorge Mejias, de l’Université d’Amsterdam. « À présent, tout le monde fonce, nous n’avons pas le temps de juste faire une sieste. »
Et paradoxalement, ce sont peut-être les prétentions exagérées des promoteurs de l’époque, dont son controversé fondateur, Henry Markram, de l’Institut suisse de technologie, qui ont permis au projet d’obtenir autant de financement, au point. d’en faire l’un des plus gros projets scientifiques jamais financés par l’Union européenne.
Le risque, autant à travers EBrains qu’à travers les projets nationaux, en est à présent un de fragmentation: la machine du cerveau est si énorme qu’aucun de ces projets ne peut prétendre en avoir une vue d’ensemble, avec pour résultat un éparpillement des efforts. Et cette fois, personne ne se risque à fixer une cible pour l’éventuelle intégration de ces efforts.