Incapable de faire un enfant, cumulant les fausses couches à répétition, Marie perd peu à peu la carte. Le fait que son plus récent roman a finalement été dénoncé comme étant antiféministe n’aide pas, non plus. Et que dire de la crise du système de santé, combinée aux forêts qui brûlent. Parfait pour brasser le tout et déverser le résultat sur les planches…
Dans Wollstonecraft, un texte théâtral d’abord joué sur les planches du Quat’Sous, au printemps dernier, et ensuite publié aux Éditions de Ta Mère, l’autrice Sarah Berthiaume évoque tour à tour les grandes crises et catastrophes de notre société moderne, ces cataclysmes que nous avons nous-mêmes créés, mais s’approprie aussi le mythe de Frankenstein. Ou, plutôt, de la créature du célèbre docteur.
D’ailleurs, l’illustration de couverture vend quelque peu déjà la mèche, avec cette Créature de grande taille aux boulons vissés dans le cou, à l’instar des films de monstres du cinéma en noir et blanc. Quant à l’atmosphère de fin du monde permanente, il est permis d’imaginer l’époque où Mary Shelley, l’autrice de l’oeuvre originale, travaillait justement sur son manuscrit, alors que l’Europe était plongée dans une importante famine provoquée par un dérèglement climatique à la suite d’une éruption volcanique.
À travers tout cela, donc, Marie (pas Mary) n’arrive plus à écrire, se sépare d’avec son amoureux après une succession de fausses couches toutes plus traumatisantes les unes que les autres, et se retrouve aux prises avec une imprimante 3D contrôlée à distance qui sert à fabriquer des plats Tuperware… Tant qu’à avoir une fin du monde, pourquoi ne pas en créer une deuxième de toute pièce?
Oeuvre étrange, oeuvre gothique, oeuvre parfois tarabiscotée mêlant poésie vengeresse et réclame publicitaire, Wollstonecraft – aussi le nom de famille original de Mary Shelley, tiens donc, tout comme le nom de la mère de celle-ci, une femme de lettres, une philosophe et une femme engagée – pourrait tomber dans le misérabilisme, ou encore dans le cynisme pur et dur. On frôle d’ailleurs ce dernier à quelques reprises, mais Mme Berthiaume évite heureusement l’embourbement (ou est-ce le dérapage?), en offrant plutôt un maelström d’émotions, de valeurs opposées et de réflexions qui imprimera ses mots de façon quasi indélébile dans notre cerveau.
Quel est le résultat, sur scène? Comment conjuguer création maléfique, apocalypse et questionnement moral et philosophique? C’est là une excellente question, mais la version littéraire de Wollstonecraft réussit déjà l’exploit d’être aussi efficace que complexe.
Wollstonecraft, de Sarah Berthiaume, publié aux Éditions de Ta Mère, 165 pages