Le talentueux dessinateur et scénariste Enrico Marini livre une véritable lettre d’amour au film noir des années 1950 avec Noir burlesque, une bande dessinée en deux tomes nous replongeant dans une version mythique de l’Amérique d’après-guerre.
Après avoir combattu en Europe lors de la Seconde Guerre mondiale, Terry Cole, un homme que tous surnomment Slick et qui n’a pas la langue dans sa poche, est enfin de retour chez lui, à Philadelphie. Afin de régler les dettes de son beau-frère envers la pègre et protéger sa sœur, il commet un braquage dans une bijouterie, puis se rend dans la boîte de nuit appartenant à Rex McKinty, le chef d’une puissante organisation criminelle, pour lui remettre les bijoux volés. Sur place, il tombe sur la danseuse étoile du club, Debbie Hollow, son ancien grand amour se faisant désormais appeler Caprice. Celle-ci s’apprête à marier le mafieux, mais la rencontre entre les deux ex-amants ravive les sentiments qu’ils éprouvent encore l’un pour l’autre.
Dans le deuxième tome de Noir burlesque, n’étant pas dupe de l’affection entre sa future épouse et son ancien amant, Rex McKinty, sous prétexte ne pas vouloir déclencher une guerre de gangs avec la mafia italienne qui empiète de plus en plus sur son territoire, menace Slick d’envoyer ses fiers-à-bras s’occuper de sa sœur et de son neveu si ce dernier n’accepte pas d’effectuer une autre mission pour lui, et de dérober au chef de la bande rivale, Don Domenico Zizzi, son bien le plus précieux, soit le portrait de sa défunte mère, peint avec ses cendres. Slick se doute bien qu’une fois le coup accompli, il sera abattu froidement par les hommes de main de McKinty, mais sera-t-il assez rusé pour sortir vivant du piège tendu par le criminel jaloux?
Dessinateur particulièrement doué, on connaît Enrico Marini pour son travail sur des séries comme Le Scorpion ou Les Aigles de Rome. Il a également œuvré du côté de DC Comics, scénarisant et illustrant Batman: The Dark Prince Charming. Avec la bande dessinée Noir burlesque, dont il signe le récit, les dessins et la colorisation, l’artiste change complètement d’univers, et reprend à son compte tous les codes du polar : voyou solitaire doté de principes et d’un solide sens de l’honneur, guerre de territoire sanglante entre gangs criminels, femme fatale, amour impossible et trahison. Si ces éléments peuvent sembler assez classiques, Marini les manie de main de maître pour livrer une intrigue originale, efficace et palpitante.
Avec ses hommes virils à la mâchoire carrée découpés dans la même étoffe que James Cagney ou Robert Mitchum, ses danseuses de cabaret pulpeuses aux noms évocateurs comme Spicy Jane, Rosita Venus ou Patty Paris, ses gratte-ciels jetant leurs ombres sur les rues de la ville, ses diners et ses voitures d’époque rutilantes, Enrico Marini nous replonge au cœur d’une Amérique idéalisée, plus imaginaire que réelle. Il place son intrigue dans une zone morale grise, où la ligne entre les bons et les méchants est mince, et rend au passage un hommage vibrant au film noir des années 1950. Si le premier tome de Noir burlesque est très atmosphérique et sert surtout à introduire les personnages, le second multiplie les scènes d’action explosives, en plus d’apporter une conclusion surprenante au récit.
Sans diminuer la qualité du scénario, ce sont avant tout les illustrations d’Enrico Marini, et son découpage très cinématographique de l’action, qui donnent à Noir burlesque des allures de vieux film de détective. Il n’y a pas de polar digne de ce nom sans atmosphère, et l’artiste multiplie les scènes muettes pour installer la sienne. Utilisant l’aquarelle, le plomb et l’encre, Il manie le noir et blanc avec virtuosité, jouant sur les éclairages et les effets de brume pour donner du relief à ses planches. Il ponctue également ses cases de touches de rouge, que ce soit les cheveux de Caprice, la robe d’une cigarette-girl, les gyrophares de la police, la carrosserie d’un cabriolet, le vin dans une coupe, et évidemment le sang. Son héros est charismatique, tandis que ses personnages féminins exsudent une grande sensualité. À travers les deux albums, le style visuel de Marini est unique, et d’une beauté exceptionnelle.
Noir burlesque montre un Enrico Marini au sommet de son art, tant au niveau du scénario que des dessins. Même ceux et celles qui n’ont jamais regardé de film noir de leur vie risquent d’apprécier ce polar inspiré, s’inscrivant dans la lignée de classiques comme The Spirit de Will Eisner ou le Sin City de Frank Miller.
Noir burlesque – Tome 1, d’Enrico Marine. Publié aux éditions Dargaud, 96 pages.
Noir burlesque – Tome 2, d’Enrico Marine. Publié aux éditions Dargaud, 128 pages.
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