Une nouvelle étude de l’Université Stanford révèle l’ampleur de l’influence du lobbying des industries de la production de viande et de lait sur les réglementations du gouvernement et le financement afin de saper la concurrence en provenance des produits de viande alternatifs qui ont des impacts climatiques et environnementaux moindres.
L’analyse, publiée dans One Earth, permet ainsi de comparer les innovations et les politiques liées aux alternatives carnées à base de plantes et la viande produite en laboratoire aux États-Unis et au sein de l’Union européenne.
« L’absence de politiques se concentrant sur la réduction de notre dépendance aux produits d’origine animale et l’absence d’appui pour des technologies alternatives visant à les rendre concurrentielles est symptomatique d’un système qui résiste toujours aux changements fondamentaux », affirme la principale autrice de l’étude, Simona Vallone.
Un problème qui prend de l’ampleur
L’élevage de bétail est le principal secteur émetteur de méthane de l’ensemble de l’industrie agricole; le méthane est un puissant gaz à effet de serre, produit ici par des animaux ruminants comme les vaches, les moutons et les chèvres. Cette activité économique est aussi la principale source de déforestation en zone tropicale, en raison de l’expansion des pâturages et de la production de fourrage servant à nourrir les animaux.
De nombreuses études ont démontré que des changements de régime alimentaire pourraient grandement aider à réduire l’empreinte environnementale de l’humanité, particulièrement si l’on réduit la consommation de viande rouge. Au même moment, le régime occidental riche en viande gagne en popularité à travers le monde.
Les chercheurs ont examiné plusieurs grandes politiques en matière agricole, toutes adoptées entre 2014 et 2020, qui appuyaient qui le système de production d’aliments basés sur les animaux, qui les technologies alternatives, et ont comparé les investissements gouvernementaux pour chacune d’entre elles. Les auteurs des travaux ont aussi examiné les tendances en matière de lobbying dans ce domaine.
Ils ont ainsi constaté que les gouvernements ont constamment dévoué la majeure partie de leur financement agricole à des systèmes de production de bétail et de fourrage, ont éviter de parler de la durabilité environnementale de la production alimentaire dans les guides nutritionnels, et tenté d’imposer des obstacles réglementaires, comme des guides d’étiquetage stricts, à la commercialisation d’alternatives à la viande.
La plupart des compagnies américaines produisant de la viande et des produits laitiers ont aussi activement effectué du lobbying pour bloquer des initiatives environnementales et l’imposition de nouvelles règles, histoire de faire pencher la balance en leur faveur.
Aux États-Unis, toujours, environ 800 fois plus de financement public et 190 fois plus d’argent des firmes de lobbying ont été consacrés aux produits alimentaires de source animale, comparativement aux alternatives. Au sein de l’Union européenne, environ 1200 fois plus d’argent public et trois fois plus d’argent de lobbying ont été consacrés aux produits alimentaires de source animale.
Dans les deux régions, la quasi-totalité de tous les brevets pour de la viande à base de plantes a été publiée par un petit nombre de compagnies privées ou d’individus; une seule compagnie américaine, Impossible Foods, détient en fait la moitié de tous ces brevets.
Parmi les autres constatations des chercheurs, ont découvre qu’en Europe, les éleveurs sont largement dépendants de l’argent public, qui représentait au moins 50 % de leur revenu pendant la période étudiée. Certains de ces paiements incitaient les éleveurs à maintenir la taille de leur troupeau, continuer de produire sur leurs terres, ou à augmenter leur productivité.
En 2017, par ailleurs, une décision de la Cour européenne de justice a établi que des termes comme lait et fromage ne pouvaient plus être utilisés pour mettre en marché la plupart des produits alimentaires alternatifs. De façon similaire, aux États-Unis, un amendement proposé viendrait interdire la vente de produits de viande alternatifs, à moins que l’étiquette ne comprenne le mot « imitation », en plus d’autres obligations visant à souligner l’origine non animale des produits.
Restaurer la concurrence
En juin dernier, rappellent les chercheurs, le département américain de l’Agriculture a approuvé la vente de poulet créé en laboratoire, la première autorisation du genre pour les producteurs de viande cultivée aux États-Unis.
L’étude de l’Université Stanford fait état de ces récents développements en matière de politiques publiques comme autant de lueurs d’espoir en vue d’un passage vers des régimes alimentaires plus durables. Aux États-Unis, l’Inflation Reduction Act, une loi adoptée l’an dernier par l’administration Biden, comprend des investissements dans l’aide technique et financière pour soutenir les agriculteurs et les éleveurs qui mettent en place des méthodes visant à réduire les émissions polluantes ou à séquestrer le carbone.
En Europe, une proposition de politique publique devant faire l’objet de débats, cet automne, vise à accélérer la transition durable de l’industrie alimentaire, histoire de soutenir des solutions de mitigation des impacts de la crise climatique, et réduire les pertes de biodiversité et les impacts environnementaux.
« Il est claire que de puissants groupes d’intérêt ont utilisé leur influence politique pour maintenir le statu quo en matière de production animale », affirme le principal auteur de l’étude, Eric Lambin. « Il est nécessaire d’effectuer un vaste virage, en matière de politiques publiques, pour réduire l’impact de l’industrie alimentaire sur le climat, l’utilisation des terres et la biodiversité. »