Avec le troisième et plus récent tome de La Chute, le scénariste et dessinateur Jared Muralt continue d’explorer l’effondrement de la société suite à une pandémie mortelle dans un récit d’anticipation solidement ancré dans la réalité et axé sur un groupe de jeunes survivants.
Nous étions au tout début de la pandémie de COVID-19 quand le premier tome de La Chute (lire notre critique ici) est sorti en librairie. Décrivant les conséquences d’une mystérieuse épidémie de « grippe aviaire estivale » entraînant des centaines de milliers de morts dans son sillage, la bande dessinée avait définitivement un petit côté prémonitoire.
Campagne de vaccination massive, hôpitaux débordés, écoles fermées, rassemblements interdits, couvre-feu, obligation de porter le masque facial dans les endroits publics, la lecture de l’album avait de quoi rendre les lecteurs inconfortables de par sa proximité avec la situation que l’on traversait à ce moment-là.
Fort heureusement, l’effondrement complet de la civilisation dépeint par Jared Muralt n’est pas survenu dans la réalité, et tandis que nous retrouvions peu à peu un semblant de normalité, la série quant à elle a continué de suivre la descente aux enfers de Liam, un père de famille qui, suite au décès de son épouse des complications du virus, doit désormais s’occuper seul de ses deux enfants, Max et Sophia, dans un monde plongé dans le chaos.
Ce troisième tome de La Chute prend place moins d’un an après le début de la terrible épidémie ayant frappé la planète. La société et ses conforts modernes n’est déjà plus qu’un lointain souvenir. Plus de moyens de communications, d’électricité ou d’essence, et sans règles de vie commune ni forces de l’ordre pour les appliquer, c’est le chacun-pour-soi qui règne.
Brutalement séparés de leur père à la fin de l’album précédent (lire notre critique ici), Max et Sophia voyagent maintenant au sein d’un groupe dépareillé composé de cinq jeunes, d’une adulte, d’un bébé et de deux chèvres. La bande se réfugie dans hôtel désaffecté, mais malgré une courte période d’accalmie dans ce havre de paix isolé, ils se retrouvent au beau milieu d’une lutte à finir entre deux groupes de survivants, les Seelanders et les Oberlanders, qui se livrent bataille pour le contrôle du territoire et des dernières ressources s’y trouvant. Apprenant que leur père est prisonnier dans la ville de Thoune, ils décident alors de le secourir, en dépit des risques qu’une telle mission de sauvetage comporte.
Probablement en raison de l’état actuel de notre civilisation, dont l’effondrement semble de plus en plus imminent jour après jour avec les dérèglements climatiques ou les menaces d’une guerre mondiale planant à l’horizon, les histoires de fin du monde connaissent beaucoup de popularité dans la culture populaire, mais la grande force de la série de Jared Muralt est de livrer un récit d’anticipation complètement ancré dans la réalité, qui s’attarde davantage aux personnages et aux conflits causés par la nature humaine qu’au côté spectaculaire. Ici, pas de zombies, de monstres irradiés, d’androïdes ou de héros dotés d’une incroyable résilience, mais seulement des gens ordinaires confrontés à des situations extraordinaires.
Comme il met en vedette des enfants laissés à eux-mêmes et se défendant du mieux qu’ils peuvent (ainsi que des personnes mal adaptées à la survie, dont un handicapé mental vêtu d’un costume de dinosaure), on dirait que les situations présentées dans ce troisième tome sont encore plus insoutenables que dans les précédents. Le récit se termine d’ailleurs sur un « cliffhanger » nous laissant en suspens en attendant la sortie du prochain volume.
Pour un artiste autodidacte ayant appris le dessin par lui-même en étudiant des livres d’anatomie ou d’histoire de l’art et en dévorant des comics, les illustrations de Jared Muralt dans La Chute ont de quoi impressionner par leur finesse et leur grande virtuosité graphique.
D’un trait réaliste et pleinement maîtrisé, il reproduit minutieusement le fouillis des pièces et les nombreux objets éparpillés sur le sol des maisons en ruines, des lieux publics abandonnés ou des villes ravagées. Ses paysages grouillent de vie, avec leurs nuées d’oiseaux, les chats et les chiens errants dans les villages déserts, ou la lumière tamisée filtrant à travers les feuilles des arbres. Jusqu’à présent, la coloration de chaque album a été dominée par une palette différente. Le premier tome transmettait bien la canicule étouffante de l’été avec ses roses, ses beiges et ses oranges. Le second, doté de couleurs plus froides dont le bleu, le mauve et le blanc, dépeignait bien la saison hivernale. Cette fois-ci, les verts printaniers sont à l’honneur, comme pour illustrer que, suite à l’éradication de la majeure partie de la population, la nature ne s’en porte que mieux.
En mettant en vedette un groupe d’enfants tentant tant bien que mal de survivre dans un monde qui aurait pu être le nôtre si l’épidémie de COVID-19 n’avait pas été endiguée, ce troisième tome de La Chute apporte sa propre personnalité au classique récit de fin du monde.
La Chute – épisode 3, de Jared Muralt. Publié aux éditions Futuropolis, 96 pages.