Tout comme à Montréal, Airbnb serait l’un des moteurs de gentrification de Toronto, la plus grande ville du Canada, où les prix de l’immobilier sont déjà parmi les plus élevés au pays. C’est du moins ce qu’affirment deux chercheurs dans le cadre d’une nouvelle étude, qui met en cause le service de location à court terme.
Dans le cadre de leurs travaux, Iman Sadeghi et Sourav Ray, respectivement des universités McMaster et de Guelph, en Ontario, affirment qu’en vertu d’une analyse préliminaire des annonces affichées sur Airbnb pour des propriétés dans la région de Toronto, entre 2015 et 2020, ce service contribue à la gentrification de deux façons.
La première, écrivent les auteurs de l’étude, consiste à faire entrer, par le biais de locations de courte durée, des personnes de l’extérieur au sein de communautés, « bien souvent sans égard aux normes locales, ce qui peut entraîner des conflits et des plaintes ».
« S’il est généralement possible de gérer ces dérangements temporaires avec des méthodes habituelles, comme le fait de faire respecter les règles en vigueur et une bonne communication, ces arrivées peuvent aussi avoir des impacts à long terme sur les quartiers », ajoutent les deux chercheurs.
Toujours selon ces derniers, lorsque des propriétaires convertissent leur domicile en un lieu disponible à la location sur Airbnb, cela vient réduire le bassin de logements disponibles à long terme dans le quartier, ce qui fait gonfler les loyers, et vient amoindrir le revenu disponible des familles au salaire moins important.
Et ce marché à court terme lucratif attire également de nouveaux investissements dans l’immobilier s’articulant autour de la location sur Airbnb. Cela vient de nouveau accroître la pression sur les familles du quartier, affirment les chercheurs, familles qui doivent alors s’engager dans une guerre d’enchères. Éventuellement, les pressions économiques forcent ces familles à quitter leur quartier, en laissant derrière elles uniquement les ménages aisés.
Ainsi, la valeur des propriétés augmente à mesure que les maisons vacantes sont rachetées par des personnes aux poches plus profondes en provenance de l’extérieur. Avec le temps, écrit-on, les quartiers changent pour compter une majorité de propriétaires plus riches: c’est la gentrification, un processus qui n’est certainement pas limité à Toronto: à Montréal, à Vancouver, dans d’autres villes canadiennes et partout dans le monde, ce processus provoque un lent exode des ménages moins aisés à l’extérieur des quartiers centraux, souvent loin de leur lieu de travail, ainsi que loin des services, des infrastructures de transport collectif, des commerces de proximité, etc.
6,6 millions d’offres
Au dire des auteurs de l’étude, Airbnb propose, à l’échelle mondiale, quelque 6,6 millions d’annonces réparties dans 220 pays et 100 000 villes. Le tout est séparé entre les maisons et les logements entiers, les chambres privées et les chambres partagées.
« Nous nous sommes consacrés à la catégorie des maisons et logements entiers: les propriétaires de ces lieux pouvaient choisir entre une location à long terme ou à court terme, mais ceux qui ne louaient qu’une partie de leur résidence étaient moins portés à choisir le marché à long terme », indiquent les spécialistes.
« Nous avons constaté que les locations sur Airbnb peuvent accroître la pression sur les loyers à long terme dans les quartiers. À mesure que le nombre de propriétés disponibles sur Airbnb augmente, plus la disponibilité des loyers à long terme diminue, et vice-versa. »
En moyenne, mentionne-t-on dans l’étude, lorsque le nombre de locations sur Airbnb augmente de 1 % par kilomètre carré, dans un quartier, les loyers à long terme augmentent de 0,09 %. « Cet impact est bien plus important que celui constaté dans le cadre d’une étude similaire effectuée aux États-Unis, où il avait été évalué à 0,018 %. »
Et puisque les propriétaires ont tendance à privilégier les revenus plus élevés de la location à court terme, les deux spécialistes universitaires ont constaté que si le nombre de logements à long terme chute de 10 %, cela entraîne une augmentation de loyer d’environ 92 $ par mois pour le logement à une chambre moyen, à Toronto.
Des impacts, mais aussi des avantages?
S’il a été prouvé, dans de nombreuses villes à travers le monde, qu’Airbnb fait grimper les loyers, les chercheurs reconnaissent que l’impact social plus vaste de ce service demeure flou.
« Pour les propriétaires, Airbnb offre une nouvelle source de revenus. Les voyageurs peuvent injecter de l’argent dans l’économie locale et créer des emplois. Un flot de jeunes gens peut énergiser des quartiers avec leur joie de vivre et leur créativité », mentionnent-ils.
« Cependant, poursuivent les auteurs de l’étude, les logements abordables sont un besoin essentiel pour notre société. Avec plus de 40 000 annonces à Toronto, Vancouver et Montréal, Airbnb est un gros joueur de l’économie canadienne, mais ne représente qu’un facteur parmi tant d’autres lorsque vient le temps d’évaluer la disponibilité des logements abordables. »
Toujours de l’avis des auteurs, « des interventions trop précises pourraient non seulement être inefficaces, mais aussi avoir des impacts négatifs inattendus ». Ainsi, on évoque que le fait de limiter le nombre de jours par an pendant lesquels il est possible de louer une propriété sur Airbnb « ralentirait le développement de nouvelles unités domiciliaires ». Du moins, c’est que ce les chercheurs affirment, en s’appuyant sur une autre étude, publiée en 2021 dans le magazine spécialisé Harvard Business Review.
« Cette complexité témoigne de la nécessité de concevoir des politiques publiques créatives pour s’attaquer au problème de la disponibilité et de l’abordabilité des logements », écrivent les deux auteurs ontariens.