Anik Jean flirte avec le septième art depuis un bon moment, avec d’ailleurs quelques courts-métrages à l’appui, et c’est par la grande porte qu’elle se commet finalement à son premier long-métrage: Les hommes de ma mère, un film grand public à vocation touchante, qui à défaut de percuter, touchera aux bonnes cordes, gracieuseté d’une armada de comédiens de qualité.
D’être accouplé depuis si longtemps avec Patrick Huard, probablement l’une de nos personnalités humoristiques qui a le mieux réussi son saut vers les écrans, au point où beaucoup pensent probablement d’abord et avant tout à lui comme acteur, a certainement dû aider le passage d’Anik Jean de la musique au cinéma et la télévision. Huard lui-même ne s’est pas contenté de jouer, s’essayant également à la réalisation et la scénarisation, permettant à sa conjointe d’essayer divers postes de création, du jeu aux compositions.
Leur collaboration ne s’essouffle pas ici, tous deux d’ailleurs producteurs de l’effort, et l’aura de Huard continue de briller autour de Mme Jean à l’aide des acteurs qui ont accepté de collaborer au projet(le fidèle Colm Feore n’a certainement pas abandonné son partenaire de Bon Cop Bad Cop), mais aussi en raison du fait qu’un des rôles principaux lui a été attribué, et pas le moindre: le vrai père de la protagoniste.
Probablement qu’une sérieuse réflexion oedipienne pourrait s’opérer, ici, mais nous garderons le tout pour d’autres lendemains.
On s’attardera comme promis sur cette première réalisation qui s’approprie le scénario de Maryse Latendresse (plume talentueuse qui s’était montrée un brin plus nuancée aux côtés de Sandrine Brodeur-Desrosiers dans le trop peu vu, mais nécessaire Pas d’chicane dans ma cabane). On dira s’approprier, puisque dans ce récit qu’on imagine bien personnel et sentimental, la réalisatrice y a aussi vu l’occasion de lancer elle-même dans un hommage senti à son propre père, thématique patriarcale récurrente dans notre cinéma, auquel Huard avait déjà pris part dans le toujours savoureux Starbuck de Ken Scott.
De fait, le récit s’appuie sur la prémisse simple voulant qu’à la mort de sa mère, la jeune et perdue Elsie se donne la mission de retrouver les hommes importants de sa vie pour l’aider à disperser les cendres.
Cette quête singulière ne lèverait pas si les hommes à découvrir n’était pas aussi intéressants qu’on semblait nous le promettre; difficile de trouver plus attrayants que Marc Messier (toujours si beau quand on lui permet une telle sensibilité), Benoit Gouin (dont le talent continue d’attirer toujours plus l’attention), Jean-Simon Leduc, ainsi qu’Huard et Feore, nommés précédemment.
C’est d’ailleurs peut-être ce qui clochera le plus dans le film, soit le fait d’être parvenu à texturer et enrichir savamment cette brochette masculine au point de ne laisser plus grand-chose à leurs pendants féminins.
Si rien ne sera pire que ce qu’on a réservé à Sandrine Brisson (reléguée à nouveau au faire-valoir humoristique névrosé, tendance qu’on pensait évacuée depuis Le temps des framboises et autres œuvres où lui a permis de s’épanouir différemment), on ne trouvera guère mieux du côté d’Isabel Richer (dont le rôle de mère de substitution se résume grossièrement à donner la leçon et être propriétaire de bar lesbien). Pire, la mère en question du film, sous les traits d’une Anne-Marie Cadieux effacée, demeurera un mystère aux yeux des spectateurs.
Elle sera folle, imprévisible, elle vivra via les souvenirs des hommes et ce qu’ils voudront bien nous dire à son propos, sans plus. Il en sera de même pour notre protagoniste, alors que la talentueuse Léane Labrèche-Dor donnera beaucoup du sien, sans que jamais que le matériel ne lui permette véritablement à percer sa carapace. Une autre belle carte de visite dramatique (qu’elle avait également montré via Le rire), mais qui fait regretter toutes les possibilités comiques qui lui permettraient de briller encore mieux, tellement son timing et sa répartie frôlent la perfection.
Du reste, le long-métrage de plus de deux heures se contente de cumuler des idéologies, plutôt qu’une histoire. Des principes, plutôt que des éléments concrets; une poésie plaquée, plutôt qu’une beauté sentie.
Les chansons (dont une nouvelle composition acceptable mariant Jean à Michel Rivard au générique), la belle musique de circonstance évidemment signée Jean, les abus de ralentis, les paysages et la lumière judicieuse du directeur photo Steve Asselin finissent par montrer rapidement les limites de l’exercice.
Au final, on regrettera donc que le film ne parvienne pas à développer un discours plus convaincant que de vouloir nous convaincre que les femmes ne vivent que via les hommes et trouvent seulement leur raisons d’être par le biais de leur présence dans leur vie. Les hommes de ma mère pourrait difficilement être une incarnation plus littérale de son titre, pour le meilleur et pour le pire.
5/10
Les hommes de ma mère prend l’affiche en salle ce vendredi 4 août.