Une des solutions à la crise du logement semble être la construction de davantage de logements sociaux: accessibles et en bon état pour les familles et les individus moins fortunés. Mais ils sont souvent victimes du « pas dans ma cour ».
« De nombreux citoyens s’y opposent car ils ont peur que cela diminue la valeur de leur maison. Nous voulions vérifier si cette critique était fondée », résume le professeur agrégé de l’École supérieure d’aménagement du territoire et de développement régional de l’Université Laval, Jean Dubé.
Plusieurs propriétaires associent en effet la construction d’un édifice consacré au logement social avec une diminution du profil socio-économique du quartier, et même une hausse de la criminalité. Or, de nombreuses recherches montrent plutôt que ces nouveaux logements stimulent la densification urbaine et attirent de nouveaux commerces.
Chose certaine, les logement sociaux sont encore trop rares dans l’ensemble de la province: seulement 10 % du parc locatif. Quant aux logements abordables en général, ils sont en recul en raison de la très forte hausse de loyer lors des reprises de logement — 13,22 % contre 3,62 % pour les locataires qui restaient en place, comme le constatent des chercheurs de l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS).
Pour leur étude sur la perception du logement social, Jean Dubé et ses collègues se sont intéressés à ce qui se passe dans la ville de Québec. À travers une liste de 80 000 transactions sur les résidences unifamiliales entre 2004 et 2020, ils ont retenu 5030 transactions multiples dans les zones identifiées – c’est-à-dire à moins de 600 mètres d’un nouvel immeuble de logements sociaux.
Les auteurs se sont penchés sur le lien entre la proximité des logements sociaux et les valeurs des résidences. Ils se sont intéressés également à la taille de l’édifice, au nombre de portes, à la clientèle du logement social, entre autres variables. « Il y a un effet de la proximité qui pourrait être positif –en raison de la densification— mais plus on développe les logements sociaux loin du centre-ville, plus on a une décroissance des valeurs. C’est vraiment une relation complexe », souligne le Pr Dubé.
Il en résulte qu’il est difficile de donner un seul chiffre pour la perte de valeur. « Cela va d’une prime de 2% dans le centre-ville à un chute de 4% à Val-Bélair, là où les primes sont les plus négatives ».
Le taux d’inoccupation dans la région de Québec plafonnait en octobre 2022 à 1,5% —le plus bas niveau depuis 2010— selon le récent rapport de la Société canadienne d’hypothèque et de logement (SCHL).
Val-Bélair, l’un des 35 quartiers de la ville de Québec, s’avère être un secteur prisé par les militaires. Il constitue un secteur socioéconomique bien à lui, en demande chez les jeunes familles et « assez attirant en raison de ses prix d’achats encore raisonnables », précise Jean Dubé.
C’est pour cela que les auteurs attribuent la baisse de valeur soudaine à Val-Bélair à la construction de logement social.
« On appelle externalité urbaine, en aménagement, tout ce qui est autour de nous qui nous affecte et sur quoi on a peu de contrôle. Par exemple la pollution, le bruit, mais aussi le transport en commun », explique le chercheur. Il peut s’agir d’externalité négative —comme le développement d’une autoroute qui produit beaucoup de bruit— ou positive — comme l’aménagement d’espaces verts et de parcs.
Pour le logement social, il y aurait du négatif et du positif. Du côté négatif, plus de gens dans un quartier, « cela signifie plus de trafic, mais aussi un profil socio-économique des résidents plus hétérogène – et la crainte de voir plus de criminalité », note le Pr Dubé.
Pour le positif, cela transforme le milieu, qui devient plus dense, donc la vie locale gagne de nouveaux commerces. « On paye plus cher pour ce qui est rare, et la valeur du terrain augmente. C’est donc avantageux pour les propriétaires », résume le chercheur.
C’est cet équilibre entre les deux que cette étude cherchait à mesurer. Résultat : les prix des maisons à proximité d’un nouvel édifice augmentent en moyenne de 28%. Une bonne nouvelle qui cache toutefois des disparités suivant les quartiers.
« Ce n’est pas si clair. Le patron spatial qui se dessine est plutôt positif au centre-ville mais plus on s’éloigne, plus on va dans la banlieue de Québec, plus l’effet négatif domine », tranche le chercheur.
La (mauvaise) perception du logement social
La perception négative du logement social l’emporte alors, même s’il faut nuancer avec les différentes structures – il y a un effet plus fort pour les méga-immeubles dans les banlieues.
Reste qu’à 15 km du centre-ville, les logements sociaux sont moins bienvenus. L’impact négatif varie entre – 0,5 % pour les petites unités (5 portes) à près de – 5 % pour les plus grandes (70 logements).
De plus en plus, les municipalités essaient d’intégrer ce type de logement, ce qui serait une bonne idée pour éviter de les stigmatiser et de ghettoïser certains secteurs. « Il n’y a pas de tag dessus. Avant de travailler sur la question, je n’avais aucune idée pour différencier deux logements dont l’un est du logement social. Il y a un attrait pour les bâtiments neufs », note le Pr Dubé. Tout au plus certaines caractéristiques permettent-elles de différencier ces derniers des logements sociaux —plus de balcons privés, par exemple– mais de plus en plus, les logements sociaux se fondent dans le décor.
Les villes vont y aller avec les disponibilités de terrains vacants pour ériger les logements sociaux – ce qui peut être une difficulté, en raison du plus petit nombre d’offres au centre-ville ou à proximité, et du plus grand nombre de demandes pour s’y loger à bas coût.
À Québec, c’est très difficile de l’envisager: le centre-ville est très touristique, particulièrement dans le secteur intramuros, et ce type de développement s’avère très marginal par rapport aux nombreux quartiers de banlieue développés dans les années 1990-2000.
D’où l’importance d’une stratégie d’intégration des immeubles, que ce soit une reconversion résidentielle ou une intégration au bâti existant lors de la construction de nouvelles unités de logement social. « Il faut miser sur plus d’intégration architecturale et d’harmonie, pour rendre plus difficile l’identification ce type de logement, surtout qu’il a un rôle social à jouer dans nos villes », soutient le Pr Dubé.