La très forte augmentation des prix des aliments, en épicerie, a durement frappé un grand nombre de ménages canadiens. À un point tel, en fait, qu’après la plus forte inflation des prix des denrées, en 2022, depuis de nombreuses décennies, un ménage moyen doit s’attendre à payer plus de 1000 $ en plus, cette année, pour se nourrir. Pourtant, au dire de chercheuses de l’Université Dalhousie et de la Toronto Metropolitan University, ces prix élevés ne sont pas la cause première des problèmes liés aux denrées.
De l’avis de ces spécialistes, en effet, le prix des aliments achetés en épicerie comprend les frais de production, de transformation, de distribution et de mise en marché de la nourriture, mais pas le coût des soins de santé découlant des maladies liées à l’alimentation, l’impact environnemental actuel et futur, ou encore les injustices sociales telles que les salaires insuffisants pour les employés agricoles et l’utilisation d’enfants pour la main-d’oeuvre.
Les trois chercheuses jugent donc qu’à vouloir toujours maintenir les prix alimentaires le plus bas possible, nous courons le risque d’ignorer les causes sous-tendant cette incapacité de pouvoir payer son épicerie.
Selon elles, les aspects « impayés » de la production alimentaire découlent du fait que notre système de production de nourriture ne tient pas compte de ses propres impacts plus vastes sur la société.
« En 2011, les coûts externes de la production agricole en matière environnementale, dans le centre et l’ouest du Canada seulement, atteignaient la somme de 8,9 milliards », écrivent-elles dans leur note d’information.
Toujours au dire des chercheuses, « lorsque l’on tient compte de ces coûts externes, le véritable prix des aliments, aux États-Unis, est trois fois plus élevé que ce que paient les consommateurs ».
Et donc, jugent les autrices de la note, « nous ne payons peut-être pas ces frais à la caisse, mais nous le faisons avec nos frais du système de santé, notre mauvaise qualité d’aliments et les inégalités sociales ». Sans surprise, ce sont les habitants des pays du Sud qui se retrouvent avec de bas salaires, et qui sont affectés par ces coûts cachés de façon disproportionnée.
Les pauvres plus affectés
Dans cette note d’information, on rappelle aussi qu’en 2022, les Canadiens dépensaient, environ, 11 % de leurs revenus pour se nourrir. Chez les plus aisés, cette proportion chutait à 5,2 %, alors que les moins bien nantis consacraient près du quart de leur salaire pour manger. Et donc, l’inflation alimentaire a plus largement touché les ménages à faible revenu.
Mais malgré l’augmentation des prix, les membres les plus vulnérables de l’industrie alimentaire, les agriculteurs et les employés des installations agricoles, ne reçoivent qu’une faible part de cet argent. En fait, au Canada, les salaires agricoles sont sous la moyenne, avec des revenus inférieurs de 21 % au salaire moyen national. Et la situation ne semble pas s’améliorer, écrit-on: « Aux États-Unis, en 2021, les agriculteurs et leurs employés ont reçu environ 7,4 cents pour chaque dollar dépensé pour des aliments. En 2013, c’était plutôt 10,2 cents. »
Les chercheuses précisent par ailleurs que les prix élevés des aliments ne sont paradoxalement pas la principale raison expliquant la difficulté d’acheter à manger. Ce serait plutôt la pauvreté qui serait au coeur de ce système dysfonctionnel.
Ainsi, affirme-t-on, le ménage canadien moyen a vu ses revenus augmenter de 16 %, entre 1999 et 2022. Mais la proportion du salaire consacrée au logement a bondi de 12 %, alors que les dépenses pour les soins de santé ont explosé de 35,6 %.
Pire encore, certaines personnes vivant dans la pauvreté sont aussi visées par des mesures discriminatoires systémiques, ce qui les empêche d’atteindre un état de sécurité alimentaire. Par ailleurs, jugent les chercheuses, les groupes les plus à risque de gagner moins que la moyenne sont les Premières Nations et les Canadiens provenant de minorités ethniques.
Selon le plus récent recensement, 18,8 % des membres des Premières Nations vivent dans un ménage à faible revenu, contre 7,9 % des Allochtones. Et ces Autochtones vivent de l’insécurité alimentaire dans une proportion de deux à cinq fois plus importante que les autres Canadiens.
Pour une alimentation plus juste
Toujours au dire des chercheuses, la recherche constante de bas prix pour les aliments fait en sorte que ceux qui contribuent à leur production reçoivent des salaires de misère, ce qui alimente ce système déséquilibré et perpétue des situations de pauvreté, de maladie et d’insécurité alimentaire.
À titre d’exemple, les trois autrices évoquent la question des bananes, l’un des aliments les moins dispendieux offerts dans les épiceries canadiennes. Ces prix peu élevés, disent-elles, « ont contribué aux salaires particulièrement bas pour les travailleurs agricoles des pays producteurs, en plus d’encourager le travail des enfants, la perte de la biodiversité et la pollution de l’eau ».
On encourage ainsi la commercialisation de produits selon un modèle plus équitable. « Au début des années 2000, les consommateurs ont accepté de payer un cent de plus pour chaque livre de tomates, en transférant cet argent aux ouvriers agricoles. Cela a permis à ces derniers d’engranger une augmentation salariale de 20 à 35 % », disent les spécialistes.
« Les coûts cachés des bas prix alimentaires nuisent de façon disproportionnée aux communautés ethniques et aux gens à bas revenu. Ils nous privent aussi d’un système alimentaire juste, équitable et durable. Verser des salaires plus élevés aux agriculteurs et aux employés agricoles représente un investissement dans l’économie locale et un système alimentaire mondial plus résilient, équitable et juste. »