Il faudra du temps à certaines municipalités et à leurs écosystèmes forestiers pour se remettre des récents incendies. Parlez-en à Val-Paradis qui, 26 ans plus tard, n’a pas fini de mesurer l’impact des feux de forêts sur la santé psychologique de sa population ni sur son écosystème boréal.
« L’intensité des feux était alors moins grande en 1997 », se souvient la scientifique Kaysandra Waldron. « Le sol était même partiellement gelé, cela n’avait pas donné la même sévérité que ce que l’on connait en ce moment. » Situé dans la municipalité d’Eeyou Istchee Baie-James, à une centaine de kilomètres au nord de Rouyn-Noranda, Val-Paradis avait alors dû évacuer tous ses résidents.
La chercheuse en écologie forestière de Ressources naturelles Canada mène, avec d’autres collègues et un quart de siècle plus tard, une recherche sur l’après-feu de Val-Paradis. Déclenché par un éclair, cet incendie avait ravagé en six jours de juin 1997 plus de 125 km2 – soit 12 000 hectares. Il épargna le village.
Immédiatement après le feu, des chercheurs avaient lancé une recherche destinée à mieux comprendre les impacts de l’incendie sur l’écosystème naturel. Ils avaient alors délimité 61 petits terrains de 400 m2 pour étudier la mortalité des arbres, mais aussi les coupes de récupération – la cueillette des branches et arbres non calcinés.
C’est que, lorsqu’une forêt québécoise est affectée par un feu de forêt, les compagnies vont aller ramasser le bois récupérable. Il existe des plans spéciaux de récupération particulièrement autour des lacs et des bandes riveraines (voir le Plan d’aménagement spécial des bois brûlés par les feux), répondant à des normes différentes selon les tracés des chemins ou la protection de la biodiversité.
L’objectif est de récolter la plus grande quantité possible de bois brûlés avant que les arbres ne deviennent impropres à la transformation – car des insectes peuvent venir rapidement y creuser des galeries et se nourrir du bois mort. 64 % du bois des forêts incendiées de Val-Paradis avait été récupéré.
Pourtant, ce sont des pratiques encore controversées. On ignore comment se remet la forêt après deux perturbations (les incendies et les coupes), particulièrement les conséquences à long terme, explique la chercheuse.
Les études ont montré qu’il vaut mieux laisser de grandes superficies en îlots de forêts où l’on ne récolte pas tout le bois mort, et surtout des épinettes, susceptibles d’offrir suffisamment de semences pour que la régénération reprenne facilement. « Si on récolte le bois rapidement, on part avec la banque de graines. Cela rend la régénération de la forêt plus difficile et oblige à plus de reboisement », note Mme Waldron.
Dans l’étude datant de 2011, les chercheurs avaient remarqué que la mortalité des arbres après cet incendie, était survenue majoritairement dans les deux ans suivant les feux et pouvait survenir jusqu’à 10 ans après. Il s’agissait de peuplements de feuillus, mixtes et de conifères ayant subi des incendies de faible et de moyenne intensité. Le pin gris était l’espèce de chicot la plus persistante, suivi du peuplier faux-tremble et de l’épicéa noir.
Les facteurs étaient généralement spécifiques aux espèces et la gravité du feu était le seul facteur commun influençant la persistance des chicots parmi toutes les espèces. Ceux situés dans des peuplements sévèrement brûlés étant moins susceptibles de tomber.
Des études d’avant 2011 montraient que la composition du peuplement avait aussi influencé la hauteur de l’incendie de 1997 – la hauteur de l’incendie était plus faible dans les peuplements de feuillus que dans les peuplements mixtes ou de conifères.
C’est pourquoi il serait bon de laisser en place, après les feux, de nombreux semenciers de conifères (graines) offrant aussi un ombrage aux jeunes pousses à venir, particulièrement à proximité des sentiers. Ce qui aura un impact sur la récupération de la forêt après les incendies.
Les incendies d’origine naturelle, ce n’est pas que négatif pour l’écosystème. Une étude de 2016 montre que les stratégies d’aménagement forestier devraient même tenter d’imiter les effets des perturbations naturelles pour atténuer l’impact de traitements sylvicoles à l’échelle du paysage – un brûlage dirigé comme alternative durable aux pratiques sylvicoles actuelles, en permettant de conserver la biodiversité et de maintenir, voire augmenter, la productivité des peuplements exploités.
Aujourd’hui, Kaysandra Waldron s’intéresse plus particulièrement aux plantes du sous-bois : espèces herbacées, mousses et graminées. Elle remarque que la couverture végétale totale augmente pendant plusieurs années après le feu et les coupes.
Plus de 25 ans après les feux, il y a plus de mousse au sol lorsque le volume du bois mort non récupéré était élevé dans les parcelles. « Quelque chose se passe et on note plus de biodiversité des bactéries et des champignons », ajoute-t-elle encore.
Pour que les humains aussi se remettent des feux de forêts
Les impacts à long terme se feront évidemment sentir aussi chez les sinistrés. Des évacués qui risquent de souffrir de symptômes liés au stress post-traumatique (SPT). « Les populations de l’ouest canadien ont roulé dans les flammes pour sauver leur vie. Un incendie est un évènement traumatique où l’on craint pour sa vie et pour ses proches », explique la professeure en psychologie et directrice du Centre d’études et d’interventions en santé mentale de l’Université Laval, Geneviève Belleville.
Même si l’évacuation s’avère préventive, comme cela a été le cas à Lebel-sur Quévillon, dans le Nord du Québec. « Cela reste un sévère facteur de stress, car même si on ne craint pas pour sa vie, on ignore si l’on risque de tout perdre», ajoute la chercheuse.
Et même si l’on assiste à tout ça juste à travers nos écrans, il est possible de vivre beaucoup d’anxiété —tout comme de l’éco-anxiété— face aux conséquences des feux. « Qu’on le vive ou qu’on le craigne, tout le monde peut ressentir de l’inquiétude », confirme Geneviève Belleville.
En 2016, elle s’est intéressée à la santé psychologique des résidents évacués de Fort McMurray. Rappelons que cet incendie géant avait obligé l’évacuation de près de 90 000 personnes de cette municipalité du nord de l’Alberta. Sept ans après, les images effrayantes de ces feux géants hantent encore de nombreux Canadiens. Et ceux qui l’ont vécu gardent des traces à long terme.
Une première étude de la chercheuse et son équipe, montrait que trois mois après, plus de 60 % des 379 personnes évacuées interrogées présentaient les symptômes de stress post-traumatique (TSPT). Une entrevue approfondie avec une cinquantaine d’évacués a confirmé qu’une personne sur trois répondait aux critères du trouble de stress post-traumatique.
Et une personne sur 4 (25,5 %) se qualifiait pour la dépression, tandis que près de la moitié (43,6 %) présentaient des problèmes d’insomnie.
Une autre étude menée un an après les feux auprès de 1510 résidents évacués révélait qu’un sur trois en subissait encore des conséquences psychologiques. La chercheuse y a relevé cinq catégories de réactions : des problèmes sévères de santé mentale, des troubles anxieux, de la dépression, de l’insomnie et l’utilisation de diverses substances.
Le fait d’avoir un problème de santé mentale avant les incendies était un facteur de risque important, tout comme avoir subi un stress financier en raison du déclin économique déjà présent à Fort McMurray.
Résultat : plus d’une personne sur trois (38 %) avait au moins un des symptômes, plus d’une personne sur cinq (28%) souffrait d’insomnie et une personne sur six (15 %) présentait des symptômes d’intensité clinique. Cela, un an après les feux.
« C’est un chiffre énorme, ça devrait nous saisir. Imaginez si 40 % d’une population donnée développait du diabète, nous serions alarmés. C’est normal de moins bien dormir après de tes événements, mais le seuil observé un an après, et son niveau de sévérité, devraient nous surprendre et nous inquiéter », souligne Geneviève Belleville.
Des traumatismes qui durent
Avec des collègues de différentes universités canadiennes et québécoises, elle a mené une étude longitudinale – prochainement publiée – qui fait un suivi psychologique des évacués de Fort McMurray.
Après un événement traumatisant, certaines personnes sont résilientes et d’autres peuvent même connaître des changements positifs – que les chercheurs nomment une croissance post-traumatique (PTG) – comme ceux qui surviennent après une crise dans nos vies. Cette croissance post-traumatique variera suivant les individus, le niveau de détresse, les processus mentaux, les stratégies d’adaptation et le soutien social.
Comme on a pu le voir avec la pandémie de Covid-19. « Des études montrent qu’il y a différentes façons de faire face à un évènement traumatique, qui vont améliorer notre résilience – stratégies d’évitement, d’affrontement, et si l’on parvient à s’en sortir, nous serons dans un état plus positif », note la chercheuse.
Les chercheurs voulaient explorer les liens entre le syndrome de stress post-traumatique et cette « résilience » retrouvée, et plus particulièrement le rôle des stratégies d’adaptation et du soutien social perçu. Ainsi que la façon dont le temps joue son rôle après une catastrophe.
Ils ont donc questionné 384 des évacués de Fort McMurray de 2016 au cours des deux ans qui ont suivi cet événement. Les résultats ont révélé qu’une certaine détresse est nécessaire pour qu’un changement positif se produise, de même que l’importance de trouver des moyens d’aider les survivants à améliorer leur fonctionnement.
Ainsi, un travail de rationalisation des émotions négatives, mais aussi de l’écoute et du soutien de l’environnement et des proches, permettra plus facilement aux individus de se fixer de nouveaux objectifs et de se détacher de leurs anciennes façons de penser. En faisant cela, ils donnent progressivement un sens à l’événement traumatisant, qui les conduit à évoluer vers des changements positifs.
« Nous sommes une espèce très résiliente qui va trouver des façons de contrer les évènements. Cela peut passer par un déménagement, par exemple. Lorsque cela nous empêche de fonctionner, que cela devient intrusif et que cela nous empêche de dormir et cause une détresse, il ne faut pas hésiter à aller consulter », rappelle la chercheuse.