Avec le record de température terrestre battu le 3 juillet, puis à nouveau le 4 juillet, et avec les records de juin, il est tentant de croire que nous avons dépassé un de ces « points de non-retour » ou « points de bascule » dont parlent les experts depuis longtemps. Pas si vite, rétorquent ces mêmes experts: la situation est déjà suffisamment inquiétante comme ça.
Plus tôt cette semaine, les médias d’un peu partout rapportaient un nouveau record, et non le moindre : la journée de lundi, 3 juillet, avait été la plus chaude jamais mesurée au niveau mondial. Non pas une nouvelle année qui bat les précédentes ou un mois de juin plus chaud que les mois de juin précédents: lorsqu’on fait la moyenne des températures de la journée du 3 juillet à la grandeur de la planète, on arrive à 17,01 degrés Celsius, un chiffre jamais atteint jusqu’ici —et c’est la première fois qu’on dépasse la barre symbolique des 17 degrés, selon le projet Climate Reanalyzer, de l’Université du Maine, attaché à l’agence américaine des océans et de l’atmosphère (NOAA).
Et le record a été battu dès le lendemain, avec 17,18 degrés. Le précédent record journalier avait été établi le 24 juillet 2022, avec 16,92 degrés.
Bien que des données ainsi compilées à l’échelle mondiale ne remontent qu’à 1979, les experts s’entendent pour dire ces dernières années que les seuils que l’on atteint sont du jamais vu en plus de 100 000 ans.
Or, il existe depuis une quinzaine d’années, dans les sciences de l’environnement, un concept dit des « points de bascule » (en anglais, tipping points). C’est un emprunt à un concept de la physique, une discipline où on constaté il y a longtemps que, quelle que soit la substance ou la condition dont on parle, elle a ses limites: si on dépasse un certain seuil, elle se transforme irrémédiablement et il n’y a pas de retour en arrière.
Avec le temps, les experts ont identifié plusieurs points de bascule liés à notre planète, chacun propre à son « système »: le niveau de CO2 dans l’air, la fonte des glaces de l’Arctique , le déclin de la forêt amazonienne, le niveau d’acidification des océans, le cycle de l’azote et du phosphore dans les sols, etc. Autrement dit, il n’y a pas « un » point de bascule lié à l’ensemble de la planète, mais plusieurs.
Toutefois, la température est un facteur déterminant de ces points de bascule, et c’est la raison pour laquelle le seuil symbolique dépassé cette semaine a relancé les spéculations.
La réponse courte, a répondu à cela le climatologue Michael Mann, c’est qu’il n’y a pas de « points de bascule » à proprement parler qui ont été identifiés cette semaine, juste parce qu’on avait dépassé un seuil de température symbolique. « Niveaux de danger? Oui. Points de bascule? Non. Le déclin des glaces de l’Arctique et les événements météorologiques extrêmes ne présentent pas de comportement typique d’un basculement. Ils empirent régulièrement avec le réchauffement. La réalité est déjà assez grave comme ça. »
Cela dit, on n’a pas fini d’entendre parler de records cette année.
- Déjà, le début de juin avait été plus chaud que tous les mois de juin précédents depuis que de telles données sont ramassées, battant entre autres des records en Asie et en Europe (la question des points de bascule avait aussi été posée en juin).
- Le groupe européen Copernicus a publié lundi que le mois de juin en entier, à l’échelle mondiale, avait été de 1,46 degré Celsius au-dessus de la moyenne des températures pré-industrielles.
- Les 3 et 4 juillet, des records locaux ont été dépassés au Québec, dans le nord-ouest canadien, au Pérou, et dans différentes régions des États-Unis.
- La Chine a connu dans sa capitale, Beijing, neuf journées consécutives de plus de 35 degrés, à la fin de juin.
- La température à la surface de l’Atlantique nord a atteint des sommets en juin.
- Et le phénomène météorologique El Nino, attendu pour la fin de l’année, est connu pour donner un coup de pouce à la hausse aux températures globales.
Bref, l’année 2023 a toutes les chances de devenir la plus chaude, commentent cette semaine plusieurs scientifiques. « Le réchauffement climatique nous mène dans un monde » différent de celui que nous avons connu, écrit par exemple le physicien Robert Rohde, scientifique en chef du groupe californien d’analyse des données Berkeley Earth.