Les vagues de chaleur sont vouées à se multiplier et certains groupes y seront plus vulnérables que d’autres. Pourrait-on prévenir des décès en repérant à l’avance les populations les plus à risque?
C’est l’intention qui est derrière une carte canadienne de vulnérabilité climatique, (ou carte de la vulnérabilité à la chaleur) couvrant 156 régions urbaines, représentant 84% de la population canadienne.
« L’idée est d’identifier les plus sensibles et vulnérables à ces hausses de chaleur dans les milieux résidentiels, pour faciliter les interventions de la santé publique et des urbanistes », explique la professeure de la Faculté de foresterie, de géographie et de géomatique de l’Université Laval, Nathalie Barrette.
Les chercheurs ont calculé quatre indices – sensibilité, capacité à faire face, vulnérabilité et exposition – à partir de données de 2021: socio-économiques, démographiques, de proximité des services et de l’environnement bâti et naturel. On peut utiliser leur carte pour découvrir à la fois l’exposition et la vulnérabilité.
Ce n’est pas parce qu’on est fortement exposé – au centre-ville d’une métropole – que l’on est vulnérable: les ressources financières font la différence, mais aussi des ressources « urbaines de protection »: des piscines et des bibliothèques, un parc ou un cinéma, un plan d’eau, des ruelles vertes, offrent des lieux pour se rafraichir.
Et certains groupes sont plus à risque : personnes âgées, jeunes enfants, personnes seules, etc. « Certains facteurs accentuent encore cette vulnérabilité », comme une immigration récente, un faible revenu ou un manque de diplôme, relève la coauteure de la cartographie.
Et cette vulnérabilité n’est pas forcément là où les chercheurs s’attendaient à la trouver tel le quartier Saint-Jean-Baptiste, de Québec, plus aisé, mais où la majorité de la population vit seule, ou encore le centre-ville de Saint-Georges de Beauce. Cette municipalité de la région de Chaudière-Appalaches a beaucoup de verdure dans ses zones de développement sur le pourtour de la ville, mais beaucoup moins au centre.
« On y retrouve un centre-ville très exposé aux vagues de chaleur car il est très bâti, asphalté et bétonné. Résultat, il peut y avoir une différence de 15 degrés, l’été, entre le pourtour et le centre-ville », informe la chercheuse.
Les municipalités en régions ne sont donc pas exemptes de zones propices aux vagues de chaleur, même si les grandes métropoles connaissent ça plus souvent. Ainsi, la petite ville de Portage La Prairie, à 75 km à l’ouest de Winnipeg, au Manitoba, présente aussi des zones vulnérables à la chaleur au nord et au centre, alors qu’il y a plus au sud, Winkler et ses nombreux îlots de fraîcheur.
Les chercheurs ont eu quelques surprises lorsqu’ils ont cartographié les îlots de chaleur. « Il y a des populations à faible revenu, très vulnérables et grandement exposées à la chaleur, qui voisinent des populations moins affectées », note la Pre Barrette.
Les chercheurs de l’Université Laval avaient déjà réalisé une carte similaire pour le Québec, en 2018, « pour mieux connaître la population vulnérable d’ici et comment les municipalités québécoises y faisaient face. Cela permet de faire des suivis du verdissement, par exemple ».
À Québec, le programme de la Vision de l’arbre 2015-2025 a ainsi pour objectif l’augmentation de la canopée dans cette ville: plantation de nouveaux arbres et arbustes ainsi que des projets de déminéralisation de surfaces. Il y a aussi un projet de verdissement à venir dans Limoilou – pour la friche limitrophe de la 41e rue.
Alors que l’accès au logement reste un enjeu dans l’ensemble du Québec, tous les citoyens n’ont pas tous les mêmes atouts pour contrer les vagues de chaleur.
D’où l’intérêt de s’intéresser à la fois aux facteurs humains et bâtis. « Nous avons une plus grande sensibilité des entrepreneurs à améliorer l’enveloppe énergétique des bâtiments. Il y a des investissements depuis une dizaine d’années qui valent la peine, comme les toits blancs », soutient encore l’experte.
Mais comme davantage de journées chaudes qu’avant nous attendent, il faudra redoubler d’efforts du côté de la lutte aux îlots de chaleurs, particulièrement avec des actions de verdissement. Même dans des municipalités en région.
Un outil rare
Il s’agit d’un outil bien construit et vulgarisé, commente le conseiller scientifique spécialisé au Bureau d’information et d’études en santé des populations (BIESP) de l’Institut national de santé publique du Québec, Antoine Saint-Armand.
« Les indicateurs sont même expliqués dans le détail, ce qui le rend compréhensible à tous. C’est, à ma connaissance, la première carte de ce genre-là couvrant toutes les zones urbaines du Canada. Ce qui permet jusqu’à un certain point des comparaisons entre des municipalités de tailles semblables (Montréal, Toronto, Vancouver) ».
Il pense que cet outil intéressera fortement les municipalités et les MRC, les gestionnaires en aménagement et aussi les directions de santé publique. Sans compter que c’est un sujet d’actualité, avec la multiplication des feux de forêt…
« Une carte, c’est un outil très pratique pour entamer les discussions entre le grand public et les professionnels. C’est facile à comprendre et on peut s’assoir autour et valider les différences entre quartiers », note le chercheur de l’unité Analyse de la santé et ses inégalités sociales et territoriales à l’INSPQ.
Le géomaticien s’est livré à l’exercice pour Villeray et a constaté que l’échelle est relativement fine. Il a noté que les variations de vulnérabilité d’un bloc à l’autre au sein d’un quartier homogène éveillent la curiosité. « Il faut alors se plonger dans les données pour mieux comprendre, et les chercheurs ont rendu publiques leur données. On peut les télécharger, c’est assez rare d’avoir tout disponible et cela rend possible de les croiser pour faire parler certaines thématiques (nombre de personnes âgées, d’immigrants, etc.). Pour moi, c’est du travail pré-mâché ».
Pour M. Saint-Armand, cette carte pourrait être bonifiée par des projections climatiques et l’ajout de certaines données : « J’ai été étonné de ne pas voir la présence du taux du logement munis d’air climatisé, qui est tout de même une capacité à faire face aux vagues de chaleur. Mais les données sont sûrement moins disponibles.»
Son unique bémol serait que « c’est plus facile de documenter l’exposition à la chaleur que la vulnérabilité à la chaleur. C’est la principale difficulté car ce n’est pas quantifiable et repose en partie sur de la perception. Ce n’est pas purement factuel mais cette difficulté est intrinsèque au sujet. Cela reste une étude, et une carte, toutes deux très intéressantes. »