Librement adaptée du roman La Barre-y-va de Maurice Leblanc, la bande dessinée Arsène Lupin contre Sherlock Holmes, qui se décline en deux tomes, présente une lutte à sans merci très divertissante entre le célèbre gentleman-cambrioleur et le plus fin limier de toute la littérature policière.
Le premier est un voleur agile, intelligent, et un maître du déguisement qui, malgré sa cupidité, possède un solide code d’honneur. S’introduisant par effraction pour dérober un tableau de Velasquez par exemple, il décide d’avorter l’opération en s’apercevant qu’il se trouve dans la demeure d’un héros de guerre. Le second est un détective privé doté d’une mémoire remarquable, d’une capacité de déduction hors du commun, et d’une dépendance à la cocaïne. Les deux personnages se sont déjà frottés l’un à l’autre dans le passé (bien que, pour éviter la furie de Sir Arthur Conan Doyle, Maurice Leblanc a rebaptisé le célèbre limier Herlock Sholmès dans ses romans), mais la bande dessinée Arsène Lupin contre Sherlock Holmes présente l’ultime confrontation entre ces deux légendes de la littérature.
Arsène Lupin a décidé de devenir honnête quand s’ouvre le récit. Après avoir légué tous ses biens mal acquis au musée du Louvre, il s’apprête à quitter son repère de l’Aiguille en France lorsque Sherlock Holmes le confronte. Dans l’échange de coups de feu qui s’ensuit, ce dernier abat par erreur Raymonde de Saint-Véran, la fiancée du gentleman-cambrioleur. L’intrigue se déplace ensuite quatre ans plus tard, en 1913. Déguisé en Fortuné Bonnard, docteur en mathématiques et cryptologue, Lupin est contacté par un certain Maurice Guercin, qui sollicite son aide. Le défunt grand-père de son épouse, un alchimiste, aurait découvert la formule pour transformer le plomb en or, mais son secret est dissimulé derrière un cryptique code composé d’une série de chiffres. Attiré par l’appât du gain, le voleur se rend alors en Normandie sous une fausse identité, mais il ignore que le limier britannique est sur ses traces.
Le scénariste Jérôme Félix rêvait d’adapter les aventures d’Arsène Lupin en bande dessinée depuis une bonne vingtaine d’années, et après un premier album, intitulé L’aiguille creuse, il récidive cette fois-ci avec le diptyque Arsène Lupin contre Sherlock Holmes. Librement inspiré du roman La Barre-y-va de Maurice Leblanc, le récit (à l’image du Chien des Baskerville de Sir Arthur Conan Doyle), prend rapidement une tournure fantastique, avec le fantôme du grand-père alchimiste hantant le manoir où il est décédé, avant de connaître une résolution tout à fait rationnelle. À une époque où la majorité des polars modernes redoublent d’efforts pour être le plus sombres possible, il est fort agréable de lire une intrigue policière sans une once de cynisme et remplie de fair-play, même s’il y a des morts, un suicide et un mystère à résoudre.
Jérôme Félix a manifestement un parti-pris pour le personnage du gentleman-cambrioleur (qui serait selon lui le premier superhéros de l’Histoire puisqu’il porte un costume et possède le pouvoir de se déguiser en n’importe qui), et le fameux détective britannique est dépeint ici comme un homme beaucoup plus mesquin, vengeur, et bien déterminé à mettre fin aux activités de son ennemi juré principalement pour éviter que sa réputation ne soit ternie si les gens venaient à apprendre qu’il a tué sa fiancée. Comme je n’ai pas lu le roman de Maurice Leblanc dont la bande dessinée s’inspire, j’ignore à quel point l’intrigue est fidèle au livre original, mais le dernier tiers d’Arsène Lupin contre Sherlock Holmes contient non pas un mais deux rebondissements inattendus, produisant une conclusion complètement surprenante. Malgré tous les indices, même les plus avides lecteurs de polars ne verront jamais venir le dénouement de l’histoire.
Le style visuel d’Alain Janolle dans Arsène Lupin contre Sherlock Holmes évoque les bandes dessinées franco-belges des années 1960, une impression renforcée par une coloration à la douceur nostalgique. Il dessine évidemment Lupin avec des moustaches errolflynnesques, un chapeau haut-de-forme et un monocle, et Holmes affublé d’une cape Inverness et d’un « deerstalker », son iconique chapeau de tweed. Malgré la simplicité de ses personnages, plus stylisés que réalistes, il porte un soin particulier aux décors, qui regorgent de détails. Janolle utilise régulièrement des dizaines de lignes pour indiquer le mouvement, et s’efforce de prendre des angles intéressants dans ses cases, présentant l’action vue d’en haut ou à partir du sol. On apprécie également la façon dont les couvertures des deux albums se répondent, une belle touche graphique.
Si vous vous êtes déjà demandé qui, d’Arsène Lupin ou de Sherlock Holmes, sortirait gagnant d’une confrontation, cette bande dessinée de Jérôme Félix et Alain Janolle opposant deux personnages mythiques de la littérature, vous fournira une réponse des plus satisfaisante.
Arsène Lupin contre Sherlock Holmes – 1ère partie, de Jérôme Félix et Alain Janolle. Publié aux éditions Grand Angle, 56 pages.
Arsène Lupin contre Sherlock Holmes – 2ème partie, de Jérôme Félix et Alain Janolle. Publié aux éditions Grand Angle, 56 pages.
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