La découverte d’un « bruit de fond gravitationnel », annoncée en grandes pompes jeudi dernier, a pu sembler obscure à plusieurs. Pour mieux la comprendre, il suffit de se reporter, non pas de quelques milliards d’années dans le passé, mais de seulement 7 ans.
Il y a 7 ans, on avait annoncé pour la toute première fois la détection « d’ondes gravitationnelles ». C’est-à-dire l’équivalent des ondes qui se propagent à la surface de l’eau lorsqu’on y lance une pierre — à cette différence près qu’il faut, pour provoquer ces ondes, une dépense d’énergie gigantesque. Dans ce cas-là, il s’agissait d’une collision entre deux trous noirs survenue il y a 1,3 milliard d’années. Et pour détecter ces ondes, il avait fallu deux détecteurs géants, de quelques kilomètres de long, réunis sous le nom d’observatoire LIGO (Laser Interferometer Gravitational-Wave Observatory).
Or, comme cette détection — faite en octobre 2015, annoncée en février 2016— s’était produite alors que LIGO venait à peine de redémarrer ses opérations, il était facile d’imaginer qu’on en détecterait d’autres. Dès juin 2016, la même équipe annonçait avoir détecté un autre de ces infimes soubresauts de l’espace-temps. Et sept ans plus tard, c’est ainsi qu’il faut comprendre l’annonce de cette semaine, mais à une échelle beaucoup plus grande que ce qu’on imaginait alors. On ne parle en effet plus de deux ou trois paires de trous noirs, ou d’une demi-douzaine, mais d’un nombre si élevé, répartis dans un si grand nombre de galaxies lointaines, qu’il en résulte un « bruit de fond » à l’échelle cosmique. Et on parle en plus, peut-être, de trous noirs super-massifs, qui pourraient avoir — on entre ici dans la spéculation, et les physiciens enjoignent la prudence — des millions de fois la masse de notre Soleil, contre « seulement » 20 à 30 fois cette masse pour les trous noirs de 2015-2016.
En réalité, les physiciens ne sont pas sûrs de l’origine de ce bruit de fond. Il pourrait effectivement s’agir d’objets super-massifs qui entrent en collision, ou bien de restes des soubresauts de l’espace-temps créés par l’immédiat après-Big Bang, ou bien de phénomènes encore à découvrir. De la même façon, les physiciens hésitent encore à crier complètement victoire. Leur niveau d’assurance est ce qu’on appelle dans leur jargon un effet de 4 sigma, c’est-à-dire un cran en-dessous du fameux 5 sigma, qui serait considéré comme une détection coulée dans le béton. Au niveau 4, on estime qu’il reste 1 chance sur 10 000 pour qu’il s’agisse d’une erreur.
En attendant, c’est par une technique très différente de 2015, utilisant des pulsars, ou étoiles à neutrons — des étoiles massives qui tournent à une vitesse extrême — que ce « bourdonnement » a été identifié. Un pulsar est semblable aux phares qui guidaient jadis les bateaux: en observant les intervalles entre les moments où sa lumière est dirigée vers nous, on peut non seulement calculer sa vitesse de rotation, mais on peut surtout chercher à détecter d’infimes variations qui seraient causées par le passages d’une onde gravitationnelle.
C’est ce qui est ressorti de 15 années de données du NANOGrav (North American Nanohertz Observatory for Gravitational Waves), un observatoire basé aux États-Unis depuis 2007, auquel est associé un consortium international, et qui s’est spécifiquement appliqué à chercher l’empreinte d’ondes gravitationnelles dans les plus infimes fluctuations de fréquences de 68 pulsars prévents dans notre galaxie.
Au-delà du facteur « wow » associé à cette découverte — trois autres équipes de recherches séparées (Europe-Inde, Chine, Australie) ont publié simultanément des résultats similaires le 29 juin dans Astronomy and Astrophysics— il y a une autre raison pour laquelle même ceux pour qui les cours de physique remontent à un lointain passé, ont une raison de s’intéresser: cette découverte confirme ce que les découvreurs de 2015 entrevoyaient, à savoir une nouvelle ère de l’astronomie, dans laquelle les futures découvertes seraient basées sur la gravité plutôt que sur la lumière.
Les ondes gravitationnelles pourraient peut-être, par exemple, devenir un outil pour « voir » la matière sombre et l’énergie sombre, de la même façon que, ces dernières années, elles sont devenues un outil pour « voir » les trous noirs. C’est ce qu’exprime dans le New Scientist le physicien américain Nelson Christensen, membre de la collaboration LIGO : « En seulement sept ans, non seulement avons-nous détecté des ondes gravitationnelles sur le sol, mais à présent, nous les avons détectées avec une méthode tout autre, à une fréquence très différente ».