A-t-on déjà tout dit sur la Première Guerre mondiale? Plus d’un siècle après que les canons se sont tus, il semble pourtant qu’il y a encore à creuser, dans ce dossier du premier conflit planétaire qui faucha des millions de vies, en plus de précipiter un nombre incalculable d’événements historiques qui ont suivi. Et si les dernières années fourmillent de films et de jeux vidéo qui explorent 14-18, c’est un essai de 1962 qui jette un éclairage fascinant sur cette guerre.
Écrit par Barbara W. Tuchman, qui se mérita d’ailleurs le Pulitzer du meilleur essai pour ce titre, The Guns of August raconte les tout débuts de cette grande étripade, soit le premier mois de guerre, en août 1914. Avant les tranchées, donc. Avant les gaz. Avant les chars d’assaut primitifs. Mais certainement pas avant les premiers massacres. Avant les premières attaques de cette guerre industrielle qui allait dévaster plus d’un continent et précipiter la chute d’au moins quatre empires.
C’est d’ailleurs autour de la notion d’empire et de déclin du pouvoir monarchique que Mme Tuchman articule le début de son essai: avec les funérailles d’Édouard VII, plus précisément, en 1910. Les tensions étaient déjà palpables en Europe, mais cela n’a pas empêché un grand nombre de têtes couronnées d’assister aux cérémonies. Et comme l’auteure l’indique avec un extraordinaire style littéraire, c’était à la fois la plus grande démonstration de pouvoir royal et impérial et, en un sens, la dernière du genre.
Après tout, huit ans plus tard, la Russie en pleine guerre civile, l’Empire allemand était en ruines, l’Autriche-Hongrie avait éclaté, l’Empire ottoman avait perdu la poussière, l’hégémonie britannique était ébranlée et le géant américain avait commencé à s’imposer. Quant à la France, profondément meurtrie, elle adopterait une posture à la fois défensive et revanchiste qui conduirait, éventuellement, à sa capitulation devant l’Allemagne nazie.
Ce premier mois d’hostilités, donc, montre ultimement à la fois peu et énormément de choses. On y voit, d’abord, les décisions politiques et diplomatiques, presque racontées d’heure en heure, de chacun des grands belligérants, avec comme résultat l’embrasement de l’Europe. Et on y suit, ensuite, les plans stratégiques des diverses nations, plans qui se révéleront tous à tout le moins incomplets, et au pire complètement inappropriés.
Comme on le sait, face à une machine allemande réglée au quart de tour – que la résistance franco-britannique finira par bloquer –, l’Hexagone envoie ses hommes, encore vêtus d’uniformes d’un bleu et d’un rouge éclatants, être fauchés par les mitrailleuses et l’artillerie. L’Angleterre, elle, tergiverse presque jusqu’au dernier moment, et constatera bien assez vite que son corps expéditionnaire n’est aucunement adapté à une guerre d’usure.
Et la Russie? Eh bien, l’Empire russe, qui craquait déjà de partout, ira se perdre, loin de ses communications et de son réseau logistique, dans les terres de la Prusse orientale.
Oui, ces faits sont connus; mais ils sont ici écrits et décrits avec tant de passion, tant de finesse, qu’on a envie de plonger dans les pages pour aller saisir tous ces généraux, ces dirigeants, ces responsables par le collet et de leur faire prendre conscience que leur incompétence crasse, leur vision d’un monde déjà mort va conduire à une guerre sanglante inutile qui provoquera non seulement la mort de millions d’hommes, mais transformera aussi l’histoire mondiale à beaucoup trop d’occasions pour en tenir un décompte exact.
The Guns of August est une pierre qu’il est essentiel d’ajouter à tout édifice littéraire qui se respecte portant sur l’histoire, les conflits, et la folie des hommes. Un ouvrage à la fois magnifique et triste, qu’il importe de lire pour ne pas oublier.