L’un des principaux arguments contre la lutte à la crise climatique est que les pertes d’investissements dans les combustibles fossiles qui en découleraient auraient un impact sur les régimes de retraite ou les économies à long terme de la population. Une nouvelle étude publiée dans Joule indique pourtant que dans les pays développés, ces pertes financières seraient concentrées entre les personnes les mieux nanties, et non pas la population en général.
Ainsi, selon les auteurs des travaux, les impacts économiques de cette transition verte ne représenteraient qu’un petit pourcentage de la richesse totale des mieux nantis. Par comparaison, les pertes pour les personnes gagnant moins d’argent seraient minimales et les gouvernements, écrit-on, disposeraient de la marge de manoeuvre nécessaire pour les compenser.
« Il y a cette grande question à propos des gagnants et des perdants de la transition, et à propos des changements climatiques en général », mentionne le coauteur de l’étude Lucas Chancel, professeur d’économie à l’Université Sciences Po, à Paris.
« Même si nos résultats sont simples, on ne les trouvait pas dans d’autres études ou dans le domaine public, auparavant. Ces travaux représentent un pas en avant vers une meilleure compréhension des gagnants et des perdants du point de vue des biens et des avoirs qui pourraient être mis à risque en raison de la transition. »
Dans le cadre de l’étude, les auteurs ont constaté qu’aux États-Unis, les deux tiers des pertes financières provenant d’avoirs liés aux énergies fossiles toucheraient les 10 % des investisseurs les plus riches, et que le 1 % le mieux nanti encaisserait la moitié des pertes.
Puisque les personnes les plus riches tendent à diversifier leurs investissements, toute perte liée au secteur des combustibles fossiles représenterait moins de 1 % de la richesse nette de ce groupe. Lorsque les chercheurs ont répété l’expérience pour le Royaume-Uni et d’autres pays européens, ils sont parvenus à des résultats similaires.
« Investir dans des actifs irrécupérables est l’équivalent d’acheter une pomme pourrie », juge M. Chancel. « Dans ce cas-ci, la pomme est pourrie en raison de la crise climatique. Qui possède ces pommes pourries? Nous avons constaté que la grande majorité d’entre elles appartiennent aux 10 % les plus riches de la population. »
Par comparaison, 3,5 % des pertes financières affecteraient la moitié la plus pauvre de la population américaine. Et si ces pertes financières représentent une plus grande part de la richesse de ce groupe, le fait que ces personnes soient moins bien nanties signifie que lesdites pertes pourraient être plus facilement compensées, soit à hauteur de 9 milliards de dollars, en Europe, et 12 milliards aux États-Unis.
Au dire des auteurs de l’étude, il existerait trois méthodes, pour les gouvernements, d’amasser ces montants. Par exemple, l’État pourrait imposer une taxe carbone. Il serait aussi possible de renégocier leurs dépendances envers les compagnies de production d’électricité et ainsi utiliser l’argent économisé.
Enfin, une taxe « modeste » pour les plus riches donnerait l’occasion de financer la compensation des pertes des moins bien nantis.
« Il y a cette idée que la population en général devrait s’opposer aux politiques climatiques qui créent des avoirs irrécupérables, parce que leurs retraites sont à risque, ou carrément leur épargne », écrit l’un des chercheurs. « Il est vrai que certains avoirs sont à risque, mais dans les pays riches, cela ne justifie pas l’inaction gouvernementale, puisqu’il en coûterait bien peu d’argent pour compenser le tout. »