Les discussions portant sur les écosystèmes océaniques utiles, mais menacés, portent souvent sur les récifs coralliens ou les forêts de mangroves, sur les côtes. Les herbiers marins reçoivent beaucoup moins d’attention, même s’ils fournissent quantité de services utiles à la société et stockent de grands volumes de carbone qui contribuerait autrement au réchauffement climatique, affirment des experts.
Les conclusions d’une nouvelle étude dirigée par l’Université du Michigan démontrent que ces écosystèmes méritent effectivement d’être à l’avant-plan des discussions visant la protection de l’environnement, soutiennent les auteurs de ces travaux. Il s’agit de la première étude à accorder une valeur monétaire aux nombreux services – de la protection contre les tempêtes à la création d’un habitat pour les poissons, en passant par le stockage du carbone – fournis par les herbiers à travers les Caraïbes, et ce montant est imposant.
En utilisant de nouvelles données fournies par satellite, les chercheurs estiment que les Caraïbes renferment environ la moitié des herbiers marins en matière de surface occupée, en plus de contenir le tiers du carbone stocké dans de tels endroits, à l’échelle du globe.
Les scientifiques jugent aussi que les herbiers des Caraïbes fournissent l’équivalent de 255 milliards de dollars américains en services à la société contemporaine, y compris 88,3 milliards en stockage de carbone.
Uniquement aux Bahamas, les services environnementaux fournis par les herbiers marins sont évalués à plus de 15 fois le PIB du pays, en date de 2020, selon l’étude publiée dans le magazine spécialisé Biology Letters.
« Notre étude est la première à démontrer que les herbiers marins des Caraïbes ont une importance mondiale en termes d’espace occupé, de quantité de carbone stockée, et de la valeur des services économiques fournis à la société », indique la principale autrice des travaux, Bridget Shayka.
« Nos conclusions soulignent l’importance de la conservation et de la protection de ces écosystèmes aussi menacés qu’importants à l’échelle mondiale, des écosystèmes qui sont des alliés essentiels dans la lutte contre la crise climatique. »
L’une des méthodes visant à préserver ces écosystèmes consisterait à tenir compte des herbiers dans les marchés carbone de la planète via des projets qui minimisent les pertes, augmentent la surface occupée, ou encore permettent de régénérer les herbiers mal en point.
« Carbone bleu »
Toujours selon les auteurs des travaux, l’idée de vendre des crédits « carbone bleu », qui monétisent le carbone stocké dans les écosystèmes côtiers et marins, gagne en popularité pour diverses raisons.
Tout d’abord, plusieurs nations insulaires qui ont déjà été frappées par la crise climatique, via des ouragans de plus en plus violents ou une montée du niveau des eaux, par exemple, possèdent de vastes zones où des écosystèmes côtiers importants stockent du carbone et offrent d’autres services à la société.
Ainsi, jugent les scientifiques, ces crédits offriraient une façon, pour les pays plus riches, de compenser leur contribution à la crise climatique tout en avantageant les économies des pays touchés, et en aidant à préserver les écosystèmes côtiers et marins, qui font partie des endroits les plus touchés de la planète.
Parmi les menaces envers les herbiers, on trouve les développements côtiers, la pollution chimique, le tourisme, le transport par bateau et la crise climatique.
« Puisque les herbiers sont des écosystèmes à la fois excessivement importants pour le stockage et la séquestration du carbone, et sont durement touchés à l’échelle mondiale, ils représentent un marché florissant pour le carbone bleu », affirme l’un des auteurs de l’étude, l’écologiste maritime Jaco Allgeier.
« Jusqu’à maintenant, toutefois, l’absence de données sur la répartition des herbiers a nui aux démarches d’évaluation de ceux-ci, en plus de ralentir leur promotion au sein du marché du carbone bleu. »
En plus des plantes elles-mêmes, de nombreuses espèces marines profitent de ces écosystèmes, qu’il s’agisse d’espèces exploitées commercialement, comme le homard, ou encore des espèces qu’il est nécessaire de protéger, comme les tortues de mer vertes, le requin-tigre, ou encore le loup de mer.
« De façon importante, la dégradation des herbiers entraîne bien souvent de l’érosion et la remise en suspension de sédiments, ce qui peut alimenter la disparition des herbiers et le relâchement de carbone stocké dans les sédiments », ont écrit les auteurs de l’étude.
Plus de 60 espèces d’herbiers marins poussent dans les eaux côtières peu profondes de la planète. Ceux-ci ont évolué à partir de plantes terrestres qui ont recolonisé les océans, il y a de 70 à 100 millions d’années.
Dans une autre étude, M. Allgeier et ses collègues démontrent que la construction de récifs artificiels, dans les Caraïbes, peut aider à protéger les écosystèmes d’herbiers contre les impacts découlant de l’activité humaine, y compris la pollution à l’aide de nutriments et la surpêche.
Dans les Caraïbes, toujours, les herbiers et les sédiments qui leur sont associés stockent environ 1,3 milliard de tonnes de carbone. Cela ne représente que 1,09 % de tout le carbone stocké au-dessus et sous le sol de l’Amazonie, ou 1,12 % du carbone stocké dans la biomasse et les sols des forêts tempérées de la planète.