Depuis son émergence à la fin des années 2000, l’« argent mobile », une forme de devise numérique, s’est avéré être particulièrement important dans les pays en développement, principalement pour les gens avec peu d’épargne et sans accès au système bancaire traditionnel. Une nouvelle étude de la Leeds School of Business démontre toutefois que ce système, s’il peut aider à aider les gens en situation de pauvreté, a ses limites.
David Drake et Gloria Urrea, en compagnie de leur coauteur Karthik Balasubramanian se sont ainsi penchés sur ce système qui, même dans les régions rurales d’Afrique et d’Asie, permet à des agents locaux représentants de grands fournisseurs de téléphonie cellulaire d’offrir une méthode sécurisée et abordable pour stocker ou transférer de l’argent instantanément, sur de grandes distances, uniquement en utilisant un téléphone.
Dans le cadre de leurs travaux, les chercheurs ont analysé les données provenant de milliers de fournisseurs de service liés à l’argent mobile au Kenya et en Ouganda, deux pays d’Afrique sub-saharienne où le marché est particulièrement développé.
« Nous voulions comprendre comment ce modèle d’affaires était touché par l’effet de la pauvreté, dans une région donnée, pour évaluer sa fonction primaire: aider les gens en bas de l’échelle », a déclaré M. Drake.
« Nous avons constaté que le modèle d’affaires fonctionnait très bien, jusqu’à un certain point. La demande pour ce service a d’abord augmenté à mesure que l’effet de la pauvreté s’accroissait. C’est ce que vous espérez voir avec ce genre de modèle d’affaires. Cependant, nous avons aussi remarqué qu’à mesure que la pauvreté devient plus extrême, le modèle d’affaires commence à s’effondrer. »
Le niveau de pauvreté peut varier grandement, même dans une seule région, ce qui affecte la demande, le fonctionnement et l’efficacité de l’industrie de l’argent mobile.
Les premières plateformes du genre ont été mises de l’avant en 2002, lors d’un sommet mondial pour le développement durable, afin de s’attaquer à « l’échec des institutions financières habituelles lorsque vient le temps d’aider les pauvres », selon l’étude.
Des agents locaux, qui peuvent aller du tenancier de petit commerce à quelqu’un gérant un kiosque entièrement consacré à l’argent mobile, sont formés par des firmes de télécommunications, comme Airtel ou Safaricom, pour effectuer des transactions en tant que travailleurs indépendants.
Les clients donnent de l’argent à ces agents, qui convertissent les devises en crédits « e-float » qui peuvent ensuite être transférés instantanément via un message texte sécurisé sur un téléphone à rabat, avec une commission fournie à l’intermédiaire.
L’industrie fonctione… jusqu’à ce qu’elle ne fonctionne plus
Dans les zones affectées par la pauvreté extrême, cependant, la demande pour ces services a diminué en compagnie du nombre d’agents en fonction, a révélé l’étude. Cela pourrait s’expliquer par le fait que la population a moins accès à des téléphones cellulaires, ou à un service de téléphonie sans fil fiable, ou ne font pas confiance aux institutions financières, juge M. Drake.
Les agents possèdent davantage d’argent comptant et de devises numériques, parce que la demande survient par à-coups – lorsqu’une récolte permet une rentrée d’argent, par exemple – et le fait de posséder des réserves plus importantes entraîne aussi des coûts de fonctionnement plus importants.
« Si l’on combine tout cela – des coûts plus élevés, une demande plus faible –, alors nous sommes clairement devant une dégradation des conditions d’affaires », juge encore M. Drake.
« Ultimement, la question est la suivante : comment aidez-vous les agents servant à transférer l’argent mobile dans ces zones où ce modèle d’affaires est probablement le plus en demande? Comment poussez-vous les agents à se lancer en affaires dans ces endroits, à quel moment, et comment les soutenez-vous? »
Pour leur venir en aide, les auteurs de l’étude propose de permettre de conjuguer les stocks de devises numériques entre agents, d’offrir des services d’assurance pour réduire le risque de vol et de payer des commissions plus importantes, ou d’offrir d’autres incitatifs.
Malgré les problèmes liés à la demande et aux stocks dans les régions fortement touchées par la pauvreté, les exploitants de services d’argent mobile ont enregistré une croissance explosive au cours des dernières années.
Le nombre de comptes enregistrés à l’échelle mondiale est passé de 134 millions, en 2012, à plus de 1,35 milliard en 2021, pour un montant total de plus de 1000 milliards de dollars par an, selon des données fournies par la Groupe Speciale Mobile Association.
Pendant cette période, le nombre d’agents en activité a été multiplié par plus de 10 fois, passant de 534 000 à 5,6 millions.
« Nous sommes encouragés par le fait que l’argent mobile fonctionne bien – la demande augmente jusqu’à un certain point – et cela est une bonne nouvelle. Mais l’industrie réussit jusqu’à temps qu’elle soit ébranlée par la pauvreté elle-même, alors que pourtant, c’est à ce moment qu’on a le plus besoin d’elle », juge M. Drake.
Les travaux sont publiés dans Journal of Operations Management.