Depuis le 1er juin dernier, le Sénégal subit une vague de tensions sociopolitiques sans précédent décriée par Amnistie internationale et les organisations des droits de l’homme. En cause : une saga juridique de mœurs de plus de deux ans autour du chef de l’opposition Ousmane Sonko et de son parti PASTEF – les Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité.
Samedi le 10 juin, la diaspora sénégalaise de Montréal a fait entendre sa voix par une manifestation ayant mobilisé des centaines de personnes. Lamine Niang, membre du Secrétariat national à la communication de PASTEF Canada et gestionnaire de Jotna Média décrypte l’enjeu brimant la démocratie du « pays de la Teranga ».
Pieuvre : Comment percevez-vous le contexte sociopolitique actuel au Sénégal?
Lamine Niang : La situation est très tendue, depuis le procès intenté contre Ousmane Sonko suite à une plainte d’une certaine Adji Sarr – masseuse de profession – l’accusant de menaces de mort et viol. Le juge l’a acquitté pour cette affaire de mœurs, mais l’a condamné pour un motif de corruption de jeunesse, avec une peine de deux ans de prison. Ce verdict a embrasé le pays tout entier, car les Sénégalais sont confrontés à cette affaire privée devenue hautement politique depuis mars 2021. Des dizaines de morts, de blessés graves et de prisonniers politiques en furent victimes. Autant d’entraves fatales à un régime de non-droit qui culmine depuis juin.
Pieuvre : L’opposition sénégalaise et une majorité de la population crient au complot politique pour écarter Ousmane Sonko des prochaines élections en février 2024. Comment est-ce possible dans un pays dit démocratique et reconnu pour sa stabilité?
Lamine Niang : Depuis le début du procès, l’opposition, le peuple et la jeunesse – qui compose 70 % de la population sénégalaise – savent que les preuves sont là pour innocenter Ousmane Sonko. Tant au niveau médical, un gynécologue ayant investigué dans les 48 heures suivant la prétendue accusation de la masseuse, sans avoir trouvé la moindre trace de relation sexuelle. Puis il y a eu l’instrumentalisation d’un gendarme qui disposait des preuves de non-agression sur la jeune femme que l’on a forcé au silence. Et des enregistrements audios de l’accusatrice qui témoignent d’un coup monté, et son aveu auprès de son maître coranique. Cette injustice exposée au grand jour a choqué les citoyens et citoyennes du Sénégal, une série d’erreurs flagrantes commises par l’État qui a mené à la grogne collective. De plus, Ousmane Sonko risque de ne pas pouvoir se présenter comme candidat à l’élection présidentielle, à cause de cette affaire ; il serait alors inéligible.
Pieuvre : Quels éléments vous préoccupent le plus et laisse croire à un bris de démocratie au Sénégal?
Lamine Niang : Au-delà des victimes et des morts martyrs, de l’usage d’un enfant de huit ans comme bouclier humain et de l’intervention de forces armées occultes – des nervis qui bastonnent la population – on peut encore toucher le fond, si Ousmane Sonko est emprisonné. On dénombre près de 30 morts, plus de 500 individus blessés et des centaines de personnes détenues en prison. Je crains que la jeunesse ne s’embrase encore, et soit ciblé à nouveau par les répressions meurtrières. Le pire dans cette situation, c’est que le chef de l’État Macky Sall avait promis qu’un apaisement suivrait les épisodes de mars 2021. En vain, car on y est encore et le principal responsable est le président du Sénégal. On peut s’attendre à un basculement, d’un jour à l’autre, surtout s’il annonce sa candidature aux élections, alors que la constitution limite à deux mandats celui de président au Sénégal. Dans ce tumulte sociopolitique, la suppression d’Internet et la surveillance des réseaux sociaux fut imposée, ainsi que la récente coupure de la télévision locale Walf TV. En somme, tout un système pour museler la moindre voix discordante. Enfin, ce conflit majeur se répercute sur l’économie aussi, à cause de la situation sécuritaire plus que lacunaire qui chassera les entreprises et investisseurs.
Pieuvre : Pourquoi Ousmane Sonko est-il encore détenu à son domicile s’il est condamné à deux ans de prison par la justice sénégalaise?
Lamine Niang : À ce jour, Ousmane Sonko est prisonnier à son domicile, dans la Cité Keur Gorgui. Il ne peut recevoir personne, ni sortir sous aucun prétexte, son domicile étant cerné par les forces de l’ordre. Son avocat a essayé à neuf reprises de le voir sans être admis. L’état du Sénégal ne sait plus comment traiter l’enjeu devenu national. L’image négative entache le pays dans les médias. Si Sonko est envoyé derrière les barreaux, Macky Sall sait que cet épisode sèmerait le chaos. Il est aussi conscient que Sonko incarne l’alternative politique que revendique la population, en forte majorité.
La faute au président
Pieuvre : Quelles solutions envisagez-vous pour le retour à la paix, une intervention internationale?
Lamine Niang : Il faut d’abord mettre cartes sur table : l’unique fautif dans cette escalade de violences est le chef de l’état Macky Sall et les forces de l’ordre qu’il commande. Il a détourné tant de fonds publics à sa famille, porté de faux discours pour tenter de calmer le jeu des violences qu’il orchestre… Sa volonté d’écarter un candidat de taille en la personne d’Ousmane Sonko s’avère une gangrène pour le Sénégal. Le monde entier doit connaître la réalité.
Pieuvre : Quel poids peut avoir la manifestation de la diaspora sénégalaise d’ici?
Lamine Niang : Le comité d’organisation est très satisfait de la portée de la mobilisation encadrée par la police, dans le respect et la libre expression. Des centaines de citoyens sénégalais, femmes, hommes et familles, ont répondu à l’appel. La solidarité de la diaspora montréalaise – tout comme celle de Toronto, Edmonton, et Ottawa – s’exprime dans les bons comme dans les mauvais moments pour le Sénégal. Nous avons suivi le pas de nos patriotes de Paris, Milan et des États-Unis, outrés du sort subi par nos proches au pays. La manifestation constitue une démonstration des droits à la liberté d’expression. On ne peut réduire cela ni l’étouffer 60 ans derrière, à l’ère de la colonisation. Le Sénégal détient la possibilité de choisir son candidat et de faire face à l’injustice, le peuple ne restera pas de marbre. Les dérives des forces de l’ordre et du musèlement des libertés individuelles doivent être bannies d’un cadre démocratique.
Pieuvre : Craignez-vous pour votre sécurité personnelle, en tant que membre actif PASTEF se liguant contre le régime en place?
Lamine Niang : Certains partisans de Sonko au Canada et aux États-Unis croulent maintenant en prison au Sénégal à cause de leur adhésion au parti de l’opposition. Pour ma part, je reçois des notifications de fermeture de pages sur les réseaux sociaux, à cause des algorithmes de cette « guerre de communication ». Il faut éclairer l’opinion publique malgré ce danger qui plane sur ma sécurité qui pourrait être compromise.
Pieuvre : Dans un tel contexte, croyez-vous que la démission de Macky Sall soit l’ultime option à l’apaisement?
Lamine Niang : Si on vivait dans un pays normal, le président aurait admis ses fautes ainsi que la nature de ses actes de corruption. Il y a eu trop de morts depuis plus de deux ans, ce règne sanguinaire doit cesser. Trop de blessés ont perdu la vue, l’usage de leurs membres, autant de vies sacrifiées. Macky Sall ne peut briguer un troisième mandat, et le Sénégal mérite l’organisation d’élections libres et transparentes. Pour PASTEF, Sonko est l’espoir pour le peuple et la liberté, lui seul sait proposer des alternatives politiques. L’existence est sacrée et on ne peut tolérer une telle banalisation de la vie humaine, tirer sur les gens et gâcher leur vie… on ne revient pas sur Terre. Le régime actuel au Sénégal a atteint un sommet de sang-froid encore impuni que le PASTEF déplore et condamne.