Aux États-Unis, deux des principales entreprises de taxi sur application, Uber et Lyft, se sont engagées à électrifier l’intégralité de leur flotte d’ici 2030. Cette démarche permettrait d’éliminer les émissions polluantes des voitures, tout en faisant augmenter la demande auprès des centrales électriques pour recharger les véhicules électriques, ce qui réduirait l’ensemble de la pollution. Mais cette démarche n’est pas si bénéfique qu’il y paraît.
Une nouvelle étude réalisée par des chercheurs des Universités du Michigan et Carnegie Mellon permet d’estimer que les avantages totaux de cette transformation seraient particulièrement modestes, soit environ une diminution des émissions de 3 % par voyage, si l’on tient compte d’autres impacts.
Parmi ces derniers, on compte l’augmentation de la congestion routière, des risques d’accident et du bruit, le tout imputable aux chauffeurs d’Uber et Lyft circulant en direction des stations de recharge, en plus d’en revenir pour aller chercher des clients.
Les résultats des travaux sont publiés dans Environmental Science & Technology.
« Notre simulation a démontré que les véhicules électriques circulent sur une plus grande distance, sans passager, que les véhicules à essence, puisque les premiers doivent se rendre plus souvent aux bornes de recharge, comparativement au besoin d’aller faire le plein à la station-service », mentionne le principal auteur de l’étude, Parth Vaishnav, de l’Université du Michigan.
« Par ailleurs, les chargeurs rapides ne sont pas aussi répandus que les stations-service, ce qui veut dire que les véhicules électriques doivent circuler sur une plus grande distance pour recharger la batterie. »
Dans le cadre de leur simulation, les chercheurs ont utilisé un modèle appelé AgentX, en plus des données d’Uber et Lyft recueillies à Chicago, entre 2019 et 2022. Cette ville de l’Illinois est l’un des plus grands marchés pour le transport avec chauffeur des États-Unis, et le nombre de déplacements quotidiens y avoisinait les 300 000 avant la pandémie de COVID-19.
Les scientifiques ont modélisé plus d’un million de déplacements durant les jours de semaine, de fin de semaine et pendant différentes saisons. Ils ont inclus des voyages avant le début de la pandémie, ainsi que pendant la période suivant la vaste distribution des vaccins contre la maladie.
Une série d’outils économiques ont ensuite été mis à contribution pour calculer les coûts pour la société en général. Bien que les résultats s’appliquent spécifiquement à Chicago, les auteurs des travaux estiment que leurs conclusions peuvent s’appliquer à un plus grand nombre de villes à travers les États-Unis, et ailleurs dans le monde.
Au dire des chercheurs, l’électrification de la flotte de véhicule de taxi, à Chicago, permettrait de faire baisser les émissions de gaz à effet de serre de 40 à 45 %, comparativement aux véhicules à essence.
Cependant, les impacts de la pollution de l’air, en matière de santé publique, augmenteraient de 6 à 11 % par voyage, principalement en raison de l’utilisation accrue de l’énergie produite par des centrales thermiques qui, elles, émettent des particules polluantes.
Il est évident que cet aspect dépend du type de centrale électrique utilisée pour alimenter les bornes de recharge; l’hydro-électricité du Québec, par exemple, est bien plus « propre » que celle d’une centrale au charbon.
Par ailleurs, le nombre accru de déplacements vers les bornes de recharge ferait augmenter la congestion, les risques d’accident et le bruit de 2 à 3 % par voyage.
Peu d’économies
Au total, l’électrification complète des flottes d’Uber et Lyft permettrait de diminuer de 3 % les risques pour la société civile.
Une diminution de 3 % de ces risques équivaudrait à des économies de 1,5 million de dollars US par an, à Chicago. Chaque jour, ce type de transport avec chauffeur engendre de 4 à 5 millions de dollars, toujours à Chicago.
« Cela peut sembler contre-productif que l’ensemble des coûts pour la société civile ne diminuent pratiquement pas, même si les émissions polluantes sont très largement réduites », écrit le principal auteur de l’étude, Aniruddh Mohan.
« Mais lorsque l’on observe le tout de plus près, les émissions de GES ne représentent qu’une partie des coûts imposés à la société civile par les véhicules. La majeure partie de ces coûts sont en fait associés à des aspects externes aux voitures – la congestion, les risques d’accident et le bruit – qui sont directement liés a la distance parcourue. Et celle-ci augmente avec l’électrification des véhicules. »
Selon l’étude, environ 80 % des coûts totaux, pour la société, sont liés aux facteurs entourant la circulation, et les 20 % restants découlent des émissions polluantes.
L’évaluation comprend les coûts liés à l’ensemble de al durée de vie des véhicules électriques et à essence, y compris la fabrication des batteries, le raffinage du pétrole et la construction des voitures.
« Dans l’ensemble, nos résultats indiquent clairement qu’une vaste part des dégâts entraînés par les voitures ne sont pas liés à leurs émissions polluantes, et risquent fort de ne pas disparaître avec l’électrification », a encore déclaré M. Vaishnav.
« L’électrification est une petite victoire pour la société. Pour obtenir des gains plus importants, il faudrait largement réduire notre dépendance envers l’auto. Les politiques qui réduisent les distances franchies par des véhicules, via des investissements dans les transports publics et les infrastructures pour le vélo et la marche, ou encore qui diminuent les risques d’accidents en améliorant la sécurité des véhicules, sont essentielles. »